Aymeric Laporte of Manchester City trains during the UEFA Champions League football match played between Real Madrid and Manchester City at Santiago Bernabeu stadium on January 26, 2020 in Madrid, Spain. (Oscar J. Barroso/AFP7/PRESSE S/PRESSE SPORTS)

Aymeric Laporte vu d'Espagne

Ne figurant pas dans les petits papiers de Didier Deschamps avec les Bleus, Aymeric Laporte a finalement décidé de porter la tunique espagnole à l'Euro. Un choix qui fait parler en Espagne et au Pays basque, aussi bien sportivement que sociétalement.

Avec Aymeric Laporte, sans Sergio Ramos. C’est globalement en ces quelques mots qu’on pouvait résumer la liste espagnole de Luis Enrique pour l’Euro 2020. Deux surprises donc, s’ajoutant à l’absence totale de Madrilènes, une première. Ou plutôt une demi-surprise pour le défenseur de Manchester City, dont la sélection était annoncée depuis plusieurs jours. Celle-ci a toutefois été complètement éclipsée par l’absence des joueurs de la Casa Blanca et de son capitaine. Si bien qu’il n’est pas chose aisée de trouver dans la presse espagnole le sentiment que suscite la première convocation d’Aymeric Laporte avec la Roja.
 
«Il faut aussi prendre en compte que dans le football espagnol et les médias, le Real Madrid est le club le plus important et le plus puissant. La plupart des informations journalistiques sont sur le Real Madrid et Sergio Ramos en est le capitaine. Si Laporte jouait pour le Real, ce serait l’information la plus importante», avoue Manex Altuna, journaliste pour le média basque GARA. Si le nom Laporte est nouveau sur la liste, il ne pèse pas lourd face à l’absence du défenseur aux 180 sélections. Certains vont même jusqu’à lier la présence de l’un à la disparition de l’autre. Hypothèse complètement renvoyée par le sélectionneur espagnol en conférence de presse : «Cela n'a rien à voir avec ça. C'est un joueur qui peut nous donner beaucoup. Il ne peut pas être lié à la perte de Ramos.» Pour Marca, l’arrivée du défenseur gaucher en sélection est une bonne chose, une « signature galactique» même. Avant l’annonce officielle, le sondage réalisé sur le site dessine une opinion plutôt positive à ce sujet : 75% des 229 000 lecteurs seraient satisfaits de la sélection du défenseur citizen. Et pour cause, l’Espagne tente de l’attirer depuis plusieurs années. Le 30 août 2016, Marca en faisait sa Une : «Lopetegui signe Laporte». Un an plus tard, As considérait que «Laporte serait un bonbon pour Lopetegui, une possibilité de préparer l’avenir» et de prendre la succession de Gérard Piqué.

Pau Torres - Eric Garcia en charnière titulaire ?

Très proche du pays de Cervantes, qui l’a vu grandir et devenir une valeur sûre en défense durant sept saisons et 161 matches de Liga avec l’Athletic Bilbao, Laporte rêve toujours des Bleus et ne cède pas aux chants des sirènes espagnoles. Jusqu’à la déception de trop donc. Malgré trois convocations et plusieurs appels du pied, l’ancien joueur de l’Aviron Bayonnais ne porte jamais le maillot de l’équipe de France A. Il décide finalement de répondre à la sollicitation de Luis Enrique. Sa naturalisation est officialisée par le conseil des ministres le 11 mai et les chances de le voir en rouge à l’Euro étaient alors immenses, avant de devenir réalité. Cette sélection ne fait toutefois pas l’unanimité. «Il y a eu quelques critiques parce que certains estiment que Laporte a joué beaucoup moins de matches que d’autres défenseurs centraux comme Mario Hermoso et Raul Albiol, et ces deux joueurs ont remporté des titres importants avec leur équipe», explique Nacho Delgado, journaliste pour El Desmarque. Car si Manchester City a réalisé une grosse saison, auréolée d’un titre en Premier League et d’une finale de Ligue des champions, Aymeric Laporte n’a pas réellement participé à cette fête comme un cadre incontournable, et le journal As le rappelle très bien. Barré par Ruben Dias et John Stones, le néo-Espagnol n’a disputé que 27 matches cette saison toutes compétitions confondues. Soit exactement 20 de moins que Raul Albiol avec Villarreal, et 11 par rapport à Mario Hermoso. Luis Enrique a tranché, et le joueur, surnommé le «Montesquieu de San Mamès» par El Pais en 2014, débarque dans un secteur défensif qui n’est pas encore figé. «Je pense que les options préférées de Luis Enrique sont Pau Torres et Eric Garcia, mais nous verrons parce qu’il donne beaucoup de crédit à Laporte et avant ce tournoi, il n’était pas en mesure de jouer», indique Nacho Delgado. L’ancien entraîneur du Barça aura deux matches amicaux, face au Portugal (vendredi 4 juin, 19h30) et contre la Lituanie (mardi 8 juin) pour trouver la bonne formule avant le début de la compétition face à la Suède le 14 juin.

«Il y a eu quelques critiques parce que certains estiment que Laporte a joué beaucoup moins de matches que d'autres défenseurs centraux comme Hermoso et Albiol»

«Ce qui importe c'est son niveau, pas le lieu où il est né»

Au-delà de l’aspect purement sportif, l’arrivée d’Aymeric Laporte en sélection soulève un débat social : la naturalisation facile des sportifs en Espagne. C’est d’ailleurs sur ce sujet là que la présence du joueur de 27 ans fait parler au Pays basque, terre d’accueil du joueur de 2010 à 2018. «Au Pays basque il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas la sélection espagnole parce qu’ils préfèrent la sélection basque. La plupart des supporters de l’Athletic Bilbao également. La discussion a surtout porté sur le fait qu’il est facile pour certaines personnes, footballeurs ou autres, d’obtenir la nationalité espagnole alors que les immigrants ont beaucoup plus de difficultés à y accéder. En Espagne, c’est très courant. La même chose s’était produite quelques mois auparavant avec Ansu Fati, ou avec d’autres comme l’attaquant brésilien Catanha dans les années 1990 ou Marcos Senna plus tard», rappelle Manex Altuna. Cette liste est complétée par son homologue espagnole : «Laszlo Kubala, Ferenc Puskas, Alfredo Di Stefano, Juan Carlos Heredia, etc.» Les exemples ne manquent pas. Si en France, cette décision fait jaser, notamment Emmanuel Petit ou Jérôme Rothen, au-delà des monts, on attend surtout les résultats avant de juger. «En Espagne, la controverse arrivera s’il fait une erreur ou si l’équipe perd. C’est toujours la même chose, je me souviens du cas Mueller, un skieur d’origine allemande. Il était le meilleur lorsqu’il gagnait des médailles avec l’Allemagne, il était appelé Juanito, mais dès qu’il a été banni pour dopage, il est devenu une imposture allemande. La même chose est arrivée avec des joueurs basques ou catalans. S’ils font une erreur lors d’un match, les médias espagnols diront qu’ils ne se sentent pas assez espagnols» poursuit le journaliste de GARA.
 
Une seule vérité donc, celle du rectangle vert, où les prestations de l’ancien bilbayen seront scrutées à la loupe. «Ce qui importe c’est son niveau, pas où il est né», lance le journaliste d'El Desmarque. Français de naissance et de cœur il y a peu, Espagnol sur le terrain, Aymeric Laporte se retrouve à un tournant de sa carrière internationale. S’il n’est dorénavant plus assis entre une chaise tricolore et une chaise ibérique, il aura la lourde tâche de se faire accepter par tout un pays. Et de se faire regretter par tout un autre. Sur les réseaux sociaux, à quelques heures d’une potentielle première cape avec la Roja, Aymeric Laporte fait en tout cas déjà tout pour s’intégrer.

Corentin Richard