suarez (luis) (L'Equipe)

Ballon d'Or France Football : les petits secrets des grandes annonces

Tous les lauréats se souviennent du moment où ils ont appris leur victoire. Et de ceux qui la leur ont annoncée.

"Les petits secrets des grandes annonces", un article issu du tout nouveau numéro de France Football, vendu en kiosque chaque deuxième samedi du mois avec L'Equipe et disponible en version numérique sur le site de L'Equipe.

Il fait beau sur Lisbonne en ce jour de décembre 1965. Sur la route qui mène à Cascais et aux beautés de la Riviera portugaise, Eusebio se balade en voiture avec son épouse. Mais ce qu'il entend soudainement à la radio n'a rien à voir avec un air de fado. La voix qui émane du poste s'adresse directement à lui. Elle lui apprend qu'il vient de devenir le dixième Ballon d'Or France Football. «On a stoppé l'auto sur le bas-côté, et on s'est embrassés pour fêter ça, avouera l'attaquant du Benfica dans les colonnes de ce journal. Ensuite, on est vite rentrés à la maison pour avoir confirmation de la nouvelle. Elle est venue le soir, au journal télévisé.»

À l'heure d'internet et des réseaux sociaux, l'anecdote peut paraître préhistorique. Dans ces années où la télévision n'était qu'un meuble du salon, le récipiendaire du Ballon d'Or apprenait sa victoire de la bouche du correspondant étranger de FF, au téléphone pour Andres Merce Varela avec le Barcelonais Luis Suarez (1960), ou en plein vol transatlantique vers l'Uruguay, quand Hans Blickendorsfer avertit le Munichois Karl-Heinz Rummenigge qu'il se succédait à lui-même en 1981. Souvent, un ami journaliste bien informé vendait la mèche. Pour Blokhine, en 1975, le coup de téléphone de l'agence Tass fit fondre en larmes la mère du joueur ukrainien. Pour Florian Albert, en 1967, il fut un authentique cadeau au pied du sapin : «C'était le soir de Noël, confiera à FF l'attaquant de Ferencvaros. Le téléphone a sonné et ma femme a décroché. C'était un ami journaliste, qui lui a demandé : '' Est-ce que je parle à l'épouse du meilleur joueur d'Europe ? '' On a tout de suite compris. Ce fut un Noël magnifique.»

Zinédine Zidane en compagnie de notre journaliste Patrick Dessault. (LABLATINIERE/L'Equipe)

Zidane : «Annoncez-le moi autrement !»

Prévenir un cador qu'il est élu meilleur joueur d'Europe (jusqu'en 1995) ou du monde (depuis cette date) relève du cérémonial. Je me souviens personnellement de Denis Chaumier, alors rédacteur en chef de FF, arrivant au domicile de Lionel Messi en décembre 2009 pour lui apprendre officiellement la nouvelle. L'Argentin avait été mis au courant quelques heures plus tôt. Avec quelques collègues, nous étions déjà à l'intérieur de sa demeure de Castelldefels quand Denis est arrivé avec la une du journal, empreint de l'onction de ceux qui couronnent. Il avait dans la voix un timbre noble, presque marital. Tout juste si la Pulga ne s'est pas agenouillée.

C'est cette même solennité liturgique que réclama Zinédine Zidane en 1998 à notre journaliste Patrick Dessault, un peu trop désinvolte à son goût au moment de lui apprendre qu'il devenait le quarante-troisième Ballon d'Or FF. «Je me souviens de cette annonce comme si c'était hier, avouera Zizou au même Dessault quelques années plus tard. Ce sont des choses qui ne s'oublient pas. Vous me l'aviez appris en me disant : ''Ça y est, c'est fait ! '' Je vous avais repris pour vous demander de me l'annoncer autrement, avec des formes. Ce n'est pas le genre de récompense qu'on banalise. Alors, vous vous êtes repris, sur un ton plus solennel. J'y tenais !»

Le sujet Ballon d'Or a beau être une personnalité adulée et un champion multititré, il redevient un enfant incrédule et fébrile quand arrive le moment de l'élection. Comme le dira George Best à son entraîneur Matt Busby, venu lui apprendre la nouvelle en 1968 : «Non, ce n'est pas possible. Je ne suis qu'un gamin des rues de Belfast.» Denis Law, adoubé en 1964, avait demandé un décompte des voix. Pour être certain. En 2004, Andreï Chevtchenko avait même effectué à nouveau les totaux dans son salon, avec notre reporter Roberto Notarianni, soudain en proie au doute, alors qu'il était venu apprendre à l'Ukrainien qu'il émargeait désormais au palmarès. «Mais t'es con, je l'ai, c'est bon !», s'exclama même l'attaquant du Milan AC, soulagé, en reposant la calculette.

Roberto Notarianni a été l'émissaire de France Football à trois reprises. Le colporteur de LA nouvelle. D'abord avec Nedved, en 2003. «Je ne l'avais jamais vu avant, se souvient-il. Denis Chaumier m'avait dépêché à Turin en me demandant d'être discret. Il pleuvait. Les joueurs de la Juve s'entraînaient à la Sisport, près de la cité piémontaise. Je me suis dit : '' Je vais aller à la sortie du parking, où les mecs sont obligés de s'arrêter. '' Je vois passer Buffon. Et, derrière, des cheveux blonds. Je crie. Nedved s'arrête. Je sors une carte de visite France Football. Je lui dis que je viens de Paris, qu'il faut que je lui parle. Il me répond : '' Je me gare dix mètres plus loin, viens ! '' Je monte. On part. Je lui dis : ''Pavel, tu n'as pas gagné le Ballon d'Or... Tu l'as écrasé. '' Il était déjà blanc. Là, il est devenu livide. Le lendemain, on a fait l'interview. Et il a gardé le secret jusqu'au bout.»

«Mais t'es con, je l'ai, c'est bon !» (Andreï Chevtchenko)

Andreï Chevtchenko devant le trophée tant convoité, en présence de Gérard Ernault et Roberto Notarianni. (R. Mao //L'Equipe)

Visite chez le caviste pour Belanov

Le secret. Le mot clé. Car rien, surtout aujourd'hui, ne doit être éventé, en dépit des multiples personnes qu'on devra, volontairement ou pas, mettre dans la confidence, au siège, à l'imprimerie, dans l'entourage du joueur, dans son club. Le secret donc, souvent faisandé par la sauce rumeur, colportée par ceux qui savent. Ou qui croient savoir. Notarianni encore : «En 2006, quand je suis allé l'annoncer à Cannavaro, un truc m'a bien aidé pour faire diversion. Le jour de mon arrivée à Madrid, Tuttosport a sorti à sa une que Buffon avait gagné. Une fausse piste. Tout le monde attendait le journaliste de FF sur Turin. Même Cannavaro.»

La hantise, qui devint obsessionnelle durant les six années du partenariat avec la FIFA de 2010 à 2016, c'est, bien sûr, que le vote soit dévoilé avant l'annonce officielle du résultat. Cette monomanie paranoïaque, très dans l'air du temps, n'a pourtant pas toujours existé dans l'histoire du trophée. Ainsi, en 1986, Avdey Pinaloff, notre correspondant en Ukraine, est chargé d'informer Igor Belanov de son triomphe. «La veille de l'annonce officielle, je le préviens, se remémore aujourd'hui Pinaloff. La première chose qu'il a faite, ce fut de traverser la rue pour dévaliser son caviste en bouteilles de champagne. Ensuite, il se trouve que le même jour, il y avait à Kiev une cérémonie pour célébrer la fin de la saison, avec toutes les huiles du régime de l'ex-Union Soviétique. Après l'annonce de son succès, Igor me rappelle sur l'insistance des gens du Dynamo (Kiev) pour me demander s'ils peuvent divulguer le résultat au cours de la cérémonie. Je rappelle la rédaction de France Football à Paris. On était à douze heures de l'échéance, mais ils ont dit OK ! Il y avait 14 000 personnes dans la salle, qui l'ont su avant tout le monde. C'était du délire.»

La panique de Modric

Un scrutin de Ballon d'Or, c'est un peu comme une élection présidentielle. Tout le monde veut savoir avant tout le monde. Alors, il y a les coups de fil de Jorge Mendes pour savoir si CR7 est en tête, ceux des attachés de presse des clubs ou des joueurs qui souhaitent s'organiser «au cas où», ceux des collègues, amis ou non. Tous croient savoir. Et pourtant... Il est 19 heures, ce vendredi 15 novembre 2019. Dans une heure, le vote du Ballon d'Or prend fin, et Lionel Messi est en retard d'un point par rapport à Virgil van Dijk. Dans le bureau de Pascal Ferré, le rédacteur en chef de FF, c'est l'agitation. Il reste deux bulletins qui feront la décision en faveur de l'Argentin. Quand Pascal prend son téléphone pour lui apprendre le résultat, Messi, alors quintuple récipiendaire du trophée mais qui ne l'a plus soulevé depuis quatre ans, lâche un «ça m'a manqué» qui veut tout dire.

Quelques secondes plus tard, il posera même une question qui en dit long sur la libération que la réponse induit : «Vous êtes bien sûr ? Les totaux sont faits ?» Il la renouvellera à quatre reprises. Comme Luka Modric l'année précédente. Quand Pascal Ferré va voir le milieu croate juste avant l'issue d'un scrutin qu'il a nettement dominé, il convient d'un coup de fil si la victoire est validée. Ce sera le 12 novembre 2018, au lendemain d'un Angleterre-Croatie en Ligue des nations. Quand Modric voit le numéro français s'afficher, il est pris de panique, incapable de décrocher. Trois minutes plus tard, il reste incrédule : «Vous êtes certain ?» Et éclate en sanglots.

Cristiano Ronaldo et son agent Jorge Mendes, hilares devant le "mini Ballon d'Or" rermis par FF en attendant la vraie remise du trophée, en 2008. (P. Lahalle/L'Equipe)

Michael Owen aussi en eut un, en 2001. Quand Gérard Houllier, son manager à Liverpool, le lui annonça, quelques heures avant une rencontre de C1 contre la Roma, Owen en fut chamboulé. «Ça ne m'a pas aidé, au contraire. Je n'ai pas arrêté d'y penser pendant le match.» Incrédule, Owen avait questionné Houllier sur le véritable prestige de ce trophée. Lors de la remise, sa maman avait osé une question : «Et on doit vous le rendre quand ?»

Un mini ballon en plastique pour CR7

Les larmes font souvent partie du décor. Celles de Cristiano Ronaldo en 2013, à Zurich, ont été vues en direct par des millions de gens. C'était l'époque FIFA, loin de l'intimité que le Ballon d'Or a su tisser entre les stars et la rédaction de France Football. Jean-Michel Brochen était de ceux qui ont vécu le premier des cinq Ballons d'Or de CR7, en 2008. Il raconte : «On était allés chez lui, à Manchester, pour le lui annoncer. Jorge Mendes, son agent, le lui avait déjà dit. Il (Cristiano Ronaldo) nous a presque embrassés. Un cuistot avait préparé un repas. C'était royal. Il nous avait fait visiter sa maison, montré un film de tous les buts qu'il avait marqués, dans son sous-sol cinéma. On n'avait pas encore le vrai BO pour lui remettre (la remise eut lieu quelques jours plus tard, sur le plateau de Téléfoot). Il était un peu surpris. On en avait sorti un tout petit en plastique, genre Playmobil. Il avait dit : '' Bon, j'en ai un quand même, c'est pas grave !'' »

«Et on doit vous le rendre quand ?» interrogera la maman de Owen au moment de la remise du trophée

Thierry Marchand, avec Johan Tabau