GIANNI RIVERA (L'Equipe)

Ballon d'Or France Football : sur les traces de... Gianni Rivera

À bientôt 78 ans, l'ancien capitaine du Milan AC, Gianni Rivera, a conservé l'élégance, l'immodestie et la franchise de ses années de gloire.

"Sur les traces de... Gianni Rivera", un article issu du tout nouveau numéro de France Football, vendu en kiosque chaque deuxième samedi du mois avec L'Equipe et disponible en version numérique sur le site de L'Equipe.

Un café d'orge plutôt qu'un café noir, parce qu'à bientôt 78 ans, il faut ménager le palpitant. Gianni Rivera le sirote à la terrasse du bar du club de tennis du Foro Italico, célèbre complexe omnisports de Rome adjacent au Stadio Olimpico. «Le tennis, c'est mon second sport. Demain, je vais jouer une demi-heure avec mon prof», lance-t-il. Son physique svelte certifie cette activité physique. Rivera maintient sa silhouette de footballeur et son brushing toujours impeccable qui ont fait de lui l'un des joueurs les plus élégants de l'histoire du football. Avec cet air aristo et de dilettantisme qui l'ont toujours escorté, jusque sur les pelouses.

Il a apporté avec lui son autobiographie, un ouvrage de 500 pages composé d'innombrables images d'archives personnelles et de coupures de presse. «Mon père conservait tous les journaux sous les escaliers, à son domicile, à Milan. Il les rangeait dans les boîtes des chemises et écrivait l'année sur le couvercle. Quand il est décédé et qu'on a débarrassé la maison, je voulais tout jeter. Ma femme m'a dit : "Tu es fou !" On a tout récupéré et on a fait ce bouquin.» Gianni Rivera le feuillette et arrive jusqu'à une double page avec quatre clichés de la remise du Ballon d'Or de 1969 et un article du Corriere della Sera dont il désigne l'exergue avec le majeur : «C'est de ça dont je suis fier.» Sans se faire prier, il entame la lecture immodeste du papier : «Dans un football aride, voire méchant, avec trop de soupçons de dopage et de primes élevées qui déforment la vérité, Rivera est le seul à donner un sens poétique à ce sport.»

Une victoire apprise dans les journaux

Le voilà catapulté un peu plus de cinquante et un ans en arrière, lorsqu'il avait l'écusson du Milan sur la poitrine, le numéro 10 dans le dos et le brassard autour du biceps. «C'était après Noël et je l'ai appris par les journaux... Tout était beaucoup plus simple. Je savais que j'étais parmi les favoris parce qu'on avait remporté la Coupe d'Europe des clubs champions, contre l'Ajax (4-1), puis la Coupe intercontinentale, contre l'Estudiantes (3-0, 1-2). Mais je ne m'étais pas bercé d'illusions particulières. Si je remportais des prix individuels, j'étais content, sinon, j'attendais l'année suivante», retrace Rivera. Sa première réaction à la découverte de son succès fut même plutôt ironique, dans son style bien à lui : «Visiblement, les journaux français ne lisent pas la presse italienne !»

L'intéressé approfondit cette remarque acide : «Certains me trouvaient antipathique parce que s'il y avait quelque chose à dire, je le disais. Bon, maintenant, ils sont tous morts, mais c'était parfois aussi une antipathie " intéressée " car le directeur de La Gazzetta dello Sport était un ami d'Angelo Moratti, président de l'Inter des années 1960. Et, dès qu'il le pouvait, il me dénigrait, moi, le capitaine du Milan.» Si le footballeur est indiscutable, l'homme n'a effectivement jamais fait l'unanimité de l'autre côté des Alpes et Rivera en est parfaitement conscient. Quitte à s'arranger avec la réalité : «J'ai appris plus tard que le juré italien (Aldo Bardelli, de La Gazzetta dello Sport) n'avait initialement pas voté pour moi. Les organisateurs du trophée (sic !) lui ont alors dit : " Fais semblant de rien, dis que tu t'es gourré, vote aussi pour Rivera, de toute façon, ça ne change rien au classement, et ça fait mauvais genre de lui remettre le BO avec ton vote contraire. "» Une saillie toute en gueule (et invérifiable) qui dit surtout que le bonhomme a des inimitiés tenaces.

Gianni Rivera et son coéquipier Pierino Prati avec la Coupe d'Europe des clubs champions, remportée avec le Milan en 1969. (L'Equipe)
Gianni Rivera avait reçu son Ballon d'Or en compagnie de son dauphin et compatriote Luigi Riva. (L'Equipe)

Tout près de recevoir le Ballon d'Or six ans plus tôt

En 1969, ce fut un duel serré avec son compatriote Gigi Riva (voir classement plus bas). C'est également pour cette raison que le trophée ne fut remis que quatre mois plus tard, par Max Urbini, le rédacteur en chef de France Football, lors d'un Milan-Cagliari, avant-dernière journée du Championnat avec les Sardes fraîchement sacrés champion d'Italie. «Gigi est arrivé deuxième à quatre points. Cela signifiait que le football italien était à un bon niveau. Il est sur beaucoup de photos de la remise du trophée. Ce n'était pas nécessaire de s'échanger des mots, on était là, tout proches... On a fait la photo, on s'est regardé et on est allés jouer. Tout simplement. Je suis impassible sur les clichés, mais j'ai toujours célébré mes réussites de cette façon, même les buts. Au mieux, je levais les bras.»

Une récompense qui aurait pu arriver six ans plus tôt selon le natif d'Alessandria, dans le Piémont. «J'ai appris bien plus tard que j'avais fini deuxième lors de cette édition parce qu'à l'époque, on ne connaissait que le nom du vainqueur et rien d'autre. Apparemment, j'étais en tête du classement mais "on " a voulu le donner à Lev Yachine pour l'ensemble de sa carrière, prétend-il, alors qu'il n'avait rien gagné de particulier cette année-là (champion d'URSS malgré tout avec le Dynamo Moscou). Mais j'avais tout à fait compris ce choix, aucun problème.» Aujourd'hui, comme hier, Rivera vit la chose avec beaucoup de détachement : «Si on m'a choisi, c'est parce que j'étais celui qui ressortait le plus, j'avais l'inventivité, la technique, le sens de l'organisation. J'étais également le capitaine, j'aidais aussi beaucoup mes coéquipiers. D'ailleurs, si j'avais pu, j'aurais découpé le trophée pour en donner un morceau à chacun d'entre eux.»

L'Italien le plus souvent classé dans le top 10

Rivera a 26 ans en 1969 et est en plein boom : «À ce moment-là, j'imagine que je peux en gagner d'autres, admet-il. Ça clôt la première partie de ma carrière, mais la seconde a été plus compliquée, les choses ne se sont pas toujours bien passées au Milan. On nous a " volé " quelques titres, tout le monde le sait.» Le fameux franc-parler qui lui a valu des inimitiés, mais pas celle de ses coéquipiers : «La relation n'a jamais changé et cela dépendait de moi. Si j'avais joué au héros, si je l'avais fait ressentir comme un poids, oui, cela aurait pu provoquer de la jalousie, on m'aurait envoyé paître, mais j'ai gardé les pieds sur terre.» L'impact de ce Ballon d'Or, il ne le minimise pas, mais il estime qu'il n'a pas chamboulé son statut, ses envies, ses habitudes, son quotidien. C'était une autre époque régie par d'autres mœurs. Surtout, il fut attribué à un joueur déjà sous le feu des projecteurs depuis une décennie. «Je suis arrivé très jeune au haut niveau puisque j'ai débuté en Serie A à 15 ans avec l'Alessandria. À 17 j'étais au Milan et tout de suite titulaire. À 18, j'étais champion d'Italie et à 19 champion d'Europe. Donc, non, ça n'a rien changé. Pour moi le foot, c'était toujours aller sur le terrain pour m'amuser, même si je tenais à gagner les matches, évidemment.»

On essaie alors de le désarçonner en lui apprenant qu'il a été l'Italien le plus souvent classé dans le top 10, sixième en 1962, deuxième en 1963, neuvième en 1964, septième en 1965, neuvième en 1968, premier en 1969 et huitième en 1973. «Ah ça oui, c'est une statistique significative, c'est la conséquence d'une carrière qui m'a vu sur la brèche pendant vingt ans. Je ne sais pas si ça fait de moi le meilleur Italien de tous les temps, c'est aux autres de le dire, mais Paolo Rossi a gagné le sien en quinze jours en 1982 ; Fabio Cannavaro, c'était pour récompenser le triomphe d'une sélection en 2006. Reste Roberto Baggio.» Et Omar Sivori, sacré en 1961 mais né argentin, ce qui fait peut-être, au moins, de Rivera, le premier vrai grand joueur italien après-guerre. «Oui, ça on peut le dire.» On l'a eu, à l'usure.

Gianni Rivera, une grande gueule au talent fou. (L'Equipe)

Le vrai trophée dans un coffre-fort et sa réplique au musée

Aujourd'hui, il y a deux Ballons d'Or de Gianni Rivera. Le vrai, qu'on lui a remis, est bien camouflé à son domicile, comme le révèle son propriétaire : «Pendant un moment, je l'ai exposé sur une étagère, je ne faisais même plus attention à lui, mais, un voleur est entré un jour par la fenêtre. On s'est dit qu'il valait mieux ne pas le mettre en évidence. Aujourd'hui, il est donc dans un coffre-fort et ça lui a permis d'échapper par ailleurs à un incendie.» Le faux est une réplique exposée au musée du Milan AC : «Sauf que c'est la nouvelle version alors que le mien est le bloc unique, plus compact, que j'aime beaucoup. Je leur ai pourtant dit aux dirigeants : "Moi, je ne l'ai jamais vu celui-là !" On est d'ailleurs en procès car ils utilisent mon nom, mon image, un Ballon d'Or qui n'est pas le mien et font payer le billet d'entrée aux visiteurs sans rien me donner. Si la visite de ce musée était gratuite, j'aurais été parfaitement d'accord.» Un litige qui reflète bien les rapports qu'entretient désormais Rivera avec le club lombard. Pourtant, après sa retraite en 1979, il en devint vice-président jusqu'à l'arrivée de Silvio Berlusconi sept ans plus tard : «Si vous ne lui donnez pas toujours raison, il ne vous supporte pas. Il m'a mis dans les conditions de m'en aller, car il n'avait pas le courage de me dégager.»

C'est ainsi qu'il quitta le monde du football pour celui de la politique et une reconversion plutôt réussie : quatre mandats de député de la République italienne et un de député européen. Sa photo avec le Ballon d'Or figurait d'ailleurs sur les tracts électoraux : «Car ma carrière de joueur sera toujours plus importante que le reste», assène-t-il, histoire de dissiper les doutes et l'éventuel malaise. Ses successeurs au palmarès, le Piémontais a du mal à les juger : «Je les ai peu connus, encore moins les plus récents comme Lionel Messi et Cristiano Ronaldo. Juste après moi, il y a eu Gerd Müller, Johan Cruyff et Franz Beckenbauer, le must des années 1970, c'était pas mal, non ? Qui manque-t-il ? Parmi mes coéquipiers, je dirais Dino Zoff qui l'aurait mérité pour sa carrière, à la Yachine, voire pour une année en particulier. Et, puisque nous parlons de gardien, je citerais aussi Enrico Albertosi.» Michel Platini est un nom qui ne le laisse pas indifférent, forcément : «En 2012 il m'a décerné l'UEFA President's Award lors d'une cérémonie à San Siro. Il a été malchanceux avec Blatter, pas stupide, mais probablement un peu naïf... Ça m'a fait du mal pour lui, c'est vraiment dommage.»

En photo avec le Ballon d'Or sur ses tracts électoraux

Un diplôme d'entraîneur à 75 ans !

En 2010, la FIGC, la Fédération italienne, en appelle à ses vieilles gloires pour relancer un football dont l'équipe nationale vient de se faire piteusement éliminer au premier tour de la Coupe du monde, en Afrique du Sud, alors qu'elle était tenante du titre. L'ancien capitaine des Rossoneri est d'abord nommé président de la section jeunes et scolaires, puis en 2013, de la section technique de Coverciano, l'université pour devenir entraîneur. «Pendant que je suivais les activités, j'ai eu envie de passer les diplômes. Je les ai tous obtenus, le dernier il y a deux ans. Je suis prêt à exercer. Si un club veut un coach aux cheveux blanc, j'en suis !» Ses contacts et amitiés pourraient l'amener au Burkina Faso ou en Libye pour y ouvrir une académie. En attendant un contexte sanitaire plus propice aux voyages, il profite, à 77 ans, de la douceur de vivre romaine où il réside depuis qu'il a commencé à fréquenter le parlement. Et s'occupe de son fils qu'il a eu l'audace d'appeler Gianni : «Je l'accompagnais quand il jouait au foot, je ne lui disais rien. Au bout d'un moment, il en a eu marre et a pris le chemin de la musique. Il joue des percussions et du piano.» Un artiste, comme son papa.

Le classement du Ballon d'Or 1969

1. Gianni Rivera (Italie, Milan AC), 83 points
2. Riva (Italie, Cagliari), 78 pts
3. G. Müller (RFA, Bayern Munich), 38 pts
4. Cruyff (Pays-Bas, Ajax Amsterdam), 30 pts
-. Kindvall (Suède, Feyenoord Rotterdam), 30 pts
6. Best (Irlande du Nord, Manchester Utd), 21 pts
7. Beckenbauer (RFA, Bayern Munich), 18 pts
8. Prati (Italie, Milan AC), 17 pts
9. Jekov (Bulgarie, CDNA Sofia), 14 pts
10. J. Charlton (Angleterre, Leeds), 10 pts
11. Chesternev (URSS, Torpedo Moscou), 8 pts
12. Djazic (Yougoslavie, Étoile Rouge Belgrade), 6 pts
13. Lee (Angleterre, Manchester City), 4 pts
-. Peters (Angleterre, West Ham), 4 pts
15. Adamec (Tchécoslovaquie, Spartak Trnava), 3 pts
-. B. Charlton (Angleterre, Manchester Utd), 3 pts
-. Sormani (Italie, Milan AC) 3 pts
18. Sideris (Grèce, Olympiakos), 2 pts
-. Bene (Hongrie, Ujpest) 2 pts
-. Kvasniak (Tchécoslovaquie, Malines), 2 pts
-. Velasquez (Espagne, Real Madrid), 2 pts
-. Pilot (Luxembourg, Standard de Liège), 2 pts
23. Bremner (Écosse, Leeds Utd), 1 pt
-. Deyna (Pologne, Legia Varsovie), 1 pt
-. Domazos (Grèce, Olympiakos), 1 pt
-. Gress (France, VfB Stuttgart), 1 pt
-. Johnstone (Écosse, Celtic Glasgow), 1 pt
-. Lubanski (Pologne, Gornik), 1 pt
-. Muntian (URSS, Dynamo Kiev), 1 pt
-. Van Moer (Belgique, Standard de Liège), 1 pt
-. Viktor (Tchécoslovaquie, Dukla Prague), 1 pt