smith rowe (emile) (A.Reau/L'Equipe)

De Croydon à Arsenal, l'ascension éclair d'Emile Smith Rowe, enfant de Londres

À 20 ans, l'épopée d'Emile Smith Rowe débute à peine qu'elle épouse déjà les hautes sphères du football anglais. Londonien pure souche, le milieu d'Arsenal a gravi les échelons à vitesse grand V et se retrouve aujourd'hui en pleine lumière. Mais sans pour autant renier ses principes. Découverte.

Croydon, dans la périphérie de la cité londonienne. C'est ici qu'Emile Smith Rowe, né en juillet 2000, garçon timide et réservé, tape ses premiers ballons. Très vite, le football devient son premier centre d'occupation. Au milieu de ses copains de quartier, son talent fait la différence et attire les regards. À 10 ans, un recruteur d'Arsenal frappe à la porte de la maison familiale et propose à Smith Rowe de rejoindre l'académie des Gunners. Le début d'une histoire marquée au fer rouge et blanc.

Du jour au lendemain, il découvre les pérégrinations entre son domicile et Hale End, là où se trouve l'académie d'Arsenal, son nouveau lieu de villégiature, à plus d'une heure en métro. Mais le jeune Emile en a vu d'autres et trouve le moyen de parsemer son trajet de quelques obstacles. «Ça ne le dérangeait pas de faire un si long trajet entre Croydon et Hale End, narre Simon Collings, journaliste pour l'Evening Standard. Il lui arrivait même de traverser à toute vitesse des rails abandonnés, de sauter sur des trains ou de courir dans le métro.» Les premiers pas à Arsenal sont prometteurs et Smith Rowe ne tarde pas à être surclassé par ses entraîneurs respectifs. À l'académie, ce fan d'Andés Iniesta est même parfois comparé - non sans une pointe de flagornerie - avec l'une des superstars belges, Kevin de Bruyne. Art de Roché, journaliste pour The Athletic, suit depuis plusieurs années les jeunes d'Arsenal. Il se souvient : «Son talent était évident. Il a toujours joué au-dessus de sa catégorie. À 16 ans, il jouait avec les U18 avant rapidement de jouer avec les moins de 23 ans il y a deux saisons. C'est à ce moment-là qu'au club, on a commencé à vraiment le suivre de près.» À tel point qu'en septembre 2018, deux mois après avoir signé son premier contrat professionnel et participé à la préparation d'avant-saison, Smith Rowe retrouve le groupe pro à la demande d'Unai Emery.

Buteur dès son troisième match professionnel

De nouveau convaincu, le coach espagnol décide de l'intégrer au groupe pour le premier match de Ligue Europa à domicile face aux Ukrainiens du Vorskla Poltava le 20 septembre 2018. A vingt minutes du terme, alors que les Gunners mènent largement 3-0, le gamin de Croydon est lancé dans le grand bain en lieu et place d'Alex Iwobi. Une semaine plus tard, bis repetita, mais cette fois-ci avec le costume de titulaire contre Brentford en League Cup. Car sur le pré, le milieu offensif fascine par son aisance technique et sa vision du jeu derrière l'attaquant. «Ce qui était impressionnant, c'est qu'il faisait exactement la même chose qu'en U18 ou en U23, mais en mieux avec les pros. Chez les jeunes, il arrivait à prendre le dessus sur tout le monde. Il avait le contrôle du match à chaque fois. Il avait les clés du jeu», rembobine Art de Roché.

À l'issue de ses deux premières prestations convaincantes et escortées de belles promesses pour l'avenir, Emile Smith Rowe enchaîne en C3 et inscrit même son premier but en pro à Qarabag le 4 octobre 2018 avant de récidiver quelques semaines plus tard contre Vorskla Poltava. À la fin de l'année civile, pour obtenir plus de temps de jeu, Arsenal décide de l'envoyer en prêt à Leipzig dès janvier 2019. L'idée est simple, ESR doit ferrailler en Bundesliga dans un effectif jeune où il pourra s'épanouir. Mais l'escale allemande ne tourne pas dans le bon sens. Gêné à l'aine en raison de sa croissance, l'Anglais est écarté des terrains pendant deux mois. «La même chose s'est produite avec Serge Gnabry, développe Simon Collings. C'est une douleur courante chez les jeunes joueurs en pleine croissance car l'os à cet endroit est souvent le dernier à se développer.» Une question se pose alors : Smith Rowe doit-il retourner à Arsenal pour se soigner ? Les deux clubs tombent d'accord et, malgré des pépins physiques qui freinent sa progression, Leipzig décide de le conserver. Au total, il ne dispute que vingt-huit minutes en Bundesliga durant son prêt, la faute à un physique chancelant.

Un prêt convaincant à Huddersfield

De retour à Arsenal, il continue de parfaire sa progression avec les U23 tout en faisant des apparitions ponctuelles au sein de l'équipe première désormais dirigée par Mikel Arteta, notamment en Ligue Europa avec trois titularisations. Mais le milieu offensif ne peut pas se contenter d'un temps de jeu sporadique. Pour savoir s'il peut enchaîner, Arteta joint au téléphone Danny Cowley, alors entraîneur d'Huddersfield en Championship. Entre les deux hommes, le courant passe vite et Smith Rowe est prêté en janvier 2020 jusqu'à la fin de saison. En substance, le coach espagnol des Gunners a une idée en tête : voir son milieu être aligné en numéro 10. «En fait, le prêt de Smith Rowe tombait à pic car Huddersfield avait besoin d'un numéro 10; raconte Steven Chicken, journaliste local. Danny Cowley voulait jouer en 4-2-3-1 et le souci, c'est qu'il n'y avait qu'un seul joueur avec le profil de meneur de jeu dans l'équipe, Alex Pritchard. Mais il était blessé de longue date. Quand Smith Rowe est arrivé, Cowley l'a tout de suite aligné en numéro 10 contre Brentford derrière Frazer Campbell.»

Dans une équipe en plein doute, qui vivote autour de la zone de relégation, le milieu anglais n'est pas déphasé et prend rapidement les commandes du jeu, devenant incontournable, à tel point qu'Arsenal, inquiet de le voir titulaire à chaque rencontre, demande à Danny Cowley de le faire souffler. «S'il y avait des matches le mardi, puis le samedi et de nouveau le mardi, il commençait uniquement deux matches et pas le troisième, ajoute Steven Chicken. C'était frustrant pour Huddersfield, mais d'un côté, ça paraissait compréhensible étant donné son jeune âge et les blessures qu'il avait pu avoir. Il avait juste besoin de compétition. Sur le terrain, on voyait évidemment qu'au niveau du jeu, il était au-dessus et qu'il pouvait largement jouer en Premier League.» En effet, grâce à son sens du jeu, Emile Smith Rowe, s'impose comme l'une des principales armes d'Huddersfield, y compris après le restart de la saison en juin. Cerise sur le gâteau, dans un match décisif face à West Bromwich Albion, lors de la 45e et avant-dernière journée de Championship, le milieu de 19 ans offre le but du maintien aux Terriers à la 86e minute. «Il aura toujours une place dans le cœur des fans d'Huddersfield grâce à ce but. Le club risquait d'être relégué en League One et personne ne s'attendait à ce que l'équipe gagne ce match. Mais cette victoire signifiait qu'à moins de perdre 12-0 lors de la dernière rencontre contre Millwall, Huddersfield était sauvé» souffle Steven Chicken. Partir en toute quiétude et marquer de son empreinte le club, ESR ne pouvait pas rêver mieux pour fermer ce chapitre dans le West Yorkshire.

Emile Smith Rowe devant N'Golo Kanté lors du match référence de l'Anglais face à Chelsea. (Simon Stacpoole/OFFSIDE/PRESSE/PRESSE SPORTS)

Partition de rêve contre Chelsea

Blessé à l'épaule en début de saison, le milieu offensif doit prendre son mal patience et attendre le 10 novembre pour enfiler de nouveau la tunique des Gunners face à Gillingham en League Cup. Avant de s'affirmer définitivement en décembre. Et quoi de mieux qu'un derby contre Chelsea, le jour du Boxing Day, pour éclater aux yeux de l'Europe ? Auteur d'une prestation remarquable, il éclabousse la Premier League de son talent. Le natif de Croydon a saisi sa chance, au bon moment, avant de confirmer contre Brighton, West Bromwich et Newcastle dernièrement. «Je pense qu'il peut atteindre le haut niveau, confirme Robert Pirès, emballé par les prestations de Smith Rowe. Pour cela, il doit jouer. Le plus dur quand on arrive à ce niveau, c'est la régularité. Mais je ne suis pas inquiet, Emile regarde, écoute les conseils des anciens, il a une vraie éducation. Mikel Arteta est conscient de son potentiel.»

D'autant que Smith Rowe peut compter, en filigrane, sur l'éclosion de Bukayo Saka (19 ans), né également à Londres. «En regardant l'équipe actuelle d'Arsenal, il y a beaucoup de jeunes joueurs issus de Londres, concède le journaliste de The Athletic, Art de Roché. C'est sans doute plus facile pour les façonner car ils viennent du coin. C'est l'un des nombreux avantages d'être un club londonien.» Simon Collings de l'Evening Standard voit même plus loin dans l'analyse : «Je crois que le club doit faire confiance à ses jeunes joueurs. Arsenal n'est pas en mesure d'acheter des talents de classe mondiale. Ils doivent donc soit acheter ceux qui ont du potentiel - comme William Saliba - ou sortir des jeunes joueurs d'un très haut niveau. Parmi ces jeunes joueurs, certains pourraient faire avancer le club.» Robert Pirès espère que l'alchimie entre les joueurs expérimentés, comme Pierre-Emerick Aubameyang, Alexandre Lacazette ou David Luiz et les plus jeunes, puisse permettre à Arsenal de remonter au classement et de jouer les premiers rôles. «Le club va s'en sortir avec les anciens. Mais il faut aussi encadrer les jeunes et les faire jouer. C'est le mélange entre les jeunes et les anciens qui fera la différence.» Un mélange dont Emile Smith Rowe est l'un des fers de lance, sans pour autant s'enorgueillir, ni même penser à des rêves démesurés. «C'est un gars adorable qui veut toujours s'améliorer. Il écoute beaucoup les joueurs expérimentés et il est très important pour nous. Mais il a une bonne mentalité et c'est important», ajoutait récemment son coéquipier Granit Xhaka. En effet, si l'on devait ressortir une qualité majeure de Emile Smith Rowe, ce serait bel et bien son humilité.

«Je crois que le club doit faire confiance à ses jeunes joueurs. Arsenal n'est pas en mesure d'acheter des talents de classe mondiale.»

Un engagement associatif méconnu

Le 25 décembre dernier, en compagnie de Leah Williamson, elle aussi joueuse d'Arsenal, il a été convié pendant plusieurs heures à une rencontre en visio sur Zoom avec une cinquantaine de jeunes de l'Islington Leaving Care. Une initiative menée chaque année par Arsenal Community. Si la démarche louable et généreuse peut s'avérer être une opération de communication bien ficelée, Simon Collings rapporte des initiatives prises par le joueur lui-même. «J'ai appris il y a peu qu'Emile est impliqué dans ce projet depuis des années. Il a passé plusieurs fois le jour de Noël à déjeuner avec les jeunes et à distribuer des cadeaux en toute discrétion. Il ressent ce besoin de donner sans pour autant le faire savoir dans la presse.» Humble, très attaché à ses racines, il participe également à plusieurs engagements associatifs du côté de Croydon, là où il est né et vécu pendant ses jeunes années. Une manière pour lui de se montrer utile. «Certains jeunes joueurs peuvent être attirés par la renommée et l'attention, mais lui n'est vraiment pas comme ça», conclut Collings. Cette renommée, il pourrait très vite l'obtenir sur le terrain grâce à ses performances. La vingtaine à peine, Emile Smith Rowe vient de débarquer à toute berzingue dans les radars de Premier League et allumer les projecteurs. Une lumière qu'il n'était pas forcément venue chercher.

Thomas Bernier