mionnet (cedric) (FEVRE/L'Equipe)

«Des rues avaient été rebaptisées à nos noms» : des anciens du grand Sedan du début des années 2000 racontent leurs grands souvenirs

Voir une équipe de Ligue 1 (en l'occurrence Angers) sur le terrain de Sedan dans ces huitièmes de finale de Coupe de France rappelle forcément certains grands souvenirs du CSSA d'il y a plus de vingt ans. Les anciens refont le film pour FF.

Souviens-toi, le CS Sedan Ardennes. Aujourd'hui en National 2 (12e du groupe B), le CSSA survie toujours mais peine à revenir dans le monde professionnel, bientôt huit ans après une liquidation qui lui a été fatal. Avec certaines affaires pas franchement reluisantes comme l'arrivée du prince saoudien Fahd bin Kalid Faisal au capital en 2016. Ce dernier lance en grande pompe sur Canal+ : «Je dirais que je veux gagner la Ligue des champions ! Mais agir est plus important que de rêver. Nous voudrions jouer la Ligue des champions. C’est un rêve. J’espère qu’il deviendra réalité.» En ajoutant même rêver d'avoir Lionel Messi, précisant, réaliste : «Malheureusement je n'y crois pas.» Loin, très loin donc du grand Sedan de la fin du XXe siècle. Avec cette finale de Coupe de France en 1999 : alors en D2, le club ardennais va jusqu'en finale après une demie dingue face au Mans (victoire 4-3 après prolongation). Mais au Stade de France, face à Nantes, Olivier Monterrubio inscrit l'unique but de la partie sur un penalty bien litigieux accordé par Pascal Garibian. Décision encore dans les têtes de certains acteurs de l'époque. En fin de saison 1999-99, Sedan obtient sa montée en D1, pour enchaîner sur une superbe septième place, puis une cinquième en 2000-01. Les Pius Ndiefi, Cédric Mionnet, Alex Di Rocco, Nicolas Sachy, Pierre Deblock, Cédric Elzéard, Olivier Quint et autres avaient marqué toute la France, et encore plus tout un département et une ville. A un moment aussi où Sedan vit un changement de stade : d'Emile-Albeau à Louis-Dugauguez, une évolution qui a eu son importance. C'est toute cette époque sur laquelle reviennent pour nous cinq anciens du CSSA.

Olivier Quint : «Les supporters ? On était leurs amis, on était leurs potes»

«Cette période était exceptionnelle. On a vécu des moments incroyables : que ce soit entre les joueurs, le staff mais aussi le public. Il y avait une communion incroyable. Au départ, quand on est arrivés en 1996 ou en 1997, personne ne croyait en nous. On a vécu une épopée formidable, avec la finale de la Coupe de France, la montée en D1 et les deux années dans la division. Lors de la Coupe de France, dans la ville, c'était l'effervescence partout. Des rues avaient été rebaptisées à nos noms après la demi-finale gagnée. Des gens étaient rentrés chez moi pour me demander des places. On était leurs amis, on était leurs potes. Il y avait toujours un mot amical, des encouragements. Cette demi-finale contre Le Mans avait été épique. On avait gagné en prolongation après des rebondissements incroyables. Le Mans tape sur la barre à la 120e. Je me souviens du match à Amiens où on gagne 2-1, on finit à dix, on galère, on souffre... L'aventure aurait pu s'arrêter plus tôt. Ça s'est joué à pas grand-chose à chaque fois.

Au départ, Bruno Metsu (NDLR : entraîneur entre 1995 et 1998) avait essayé de récupérer des joueurs libres, laissés pour compte. Moi, j'étais au chômage forcé depuis Epernay et il m'a totalement relancé. Ç'a été un peu son crédo de relancer des joueurs comme ça. Il essayait de trouver un équilibre, un collectif, avec des gens qui s'entendaient bien sur le terrain, mais aussi surtout, et je dis bien surtout, en dehors. On était une bande de potes. La première année, ç'a été compliqué : il a fallu se mettre au niveau, terminer premier pour accéder au National. Et c'est vraiment l'année d'après où ç'a pris. On a eu des résultats incroyables, on est montés en Ligue 2, et on s'est dit qu'il y avait vraiment quelque chose à faire.

A l'époque, on essayait de trouver un terrain dans un état pas trop mauvais pour pouvoir s'entraîner. Une fois, c'était Sedan, une fois, c'était à Charleville-Mézières ; des fois, on s'entraînait sur un terrain stabilisé. Je me souviens qu'à la veille d'un match contre Lyon, en Coupe de la Ligue, la moitié du terrain était inondé. On faisait avec les moyens du bord, mais ça ne nous gênait pas. On s'éclatait ensemble, on progressait ensemble. Peu importe le terrain d'entraînement, l'idée était d'être ensemble et de profiter de chaque instant, surtout le week-end dans tous les stades de D1 qu'on visitait. On était des morts de faim : on savait d'où on venait, et on n'avait pas envie d'y retourner. On découvrait tous la D1 avec des grands yeux. On n'était pas insousciants, on a tous su exploiter nos qualités au même endroit en même temps. En 2000-01, les résultats étaient incroyables. Je me souviens qu'on gagne 3-0 à Guingamp avec le public qui nous applaudit. On met une raclée à Paris, on bat Marseille, on est leader à un moment donné. Et si on n'a pas des pépins physiques au moment de la trêve avec Toni Brogno et Cédric Mionnet, je pense qu'on peut jouer le titre et rivaliser avec Nantes jusqu'au bout. Finir 5e, pour Sedan, personne n'y croyait. On avait déjà fait 7e la saison d'avant, en jouant l'Intertoto. Et là, on se qualifie pour la Coupe de l'UEFA sur le dernier match en battant Auxerre. C'était une année exceptionnelle.
 

Des moments géniaux. La même mentalité qu'à Lens. Avec des joueurs qui mouillaient le maillot, qui ne trichaient pas, qui donnaient tout. Des joueurs qui aiment leur club. Et il y en a quand même de moins en moins. Nous, il y a des joueurs qui sont restés vivre là-bas, ça veut dire qu'ils étaient attachés au club et à la ville. Il faut en vouloir pour vivre à Sedan ! C'est quand même compliqué et dur. C'est pauvre, mais les gens sont formidables.
 
De ce groupe, il y avait les Nico Sachy, un très bon gardien, qui était un pitre par moment. Il adorait s'amuser avec le public, notamment à l'extérieur. Je me souviens qu'il s'était démis l'épaule en faisant de la luge lorsqu'on était partis en stage à la montagne ; on avait dit à l'époque qu'il avait fait un spécifique gardien. Luis Satorra, un grand défenseur central. Cédric Mionnet, la coqueluche que tout le monde appréciait. Des joueurs de l'ombre, comme Cédric Elzéard : à chaque fois, le club recrutait un arrière gauche, mais, à chaque fois, c'est Cédric qui jouait. Je pourrais tous les citer. Tous les dimanches soirs ou presque, on se retrouvait chez l'un ou chez l'autre pour passer des moments entre nous. On avait envie d'être ensemble, en dehors du terrain, pour partager. C'est ce qui faisait aussi notre force.
 
Mon départ, j'en avais versé des larmes. Je quittais mes potes, un environnement qui m'allait. J'étais dans mon élément. J'ai eu envie de toucher un niveau un peu plus élevé avec la Ligue des champions à Nantes, mais oui, ç'a été un déchirement de quitter le club, la ville et la région. Ce n'était que du plaisir pendant cinq saisons.»

«Des rues avaient été rebaptisées à nos noms après la demi-finale gagnée en Coupe de France.»

«Mon départ, j'en avais versé des larmes. Je quittais mes potes, un environnement qui m'allait. J'étais dans mon élément. J'ai eu envie de toucher un niveau un peu plus élevé avec la Ligue des champions à Nantes, mais oui, ç'a été un déchirement de quitter le club, la ville et la région. Ce n'était que du plaisir pendant cinq saisons.»

Olivier Quint (tout à gauche), avec Pius N'Diefi, David Di Tommaso et Jérôme Frétard. (NATAF/L'Equipe)

Face au PSG, le stade était plein, c'était quand même Paris. Nous, on était sur notre petit nuage, mais on ne s'attendait pas, quand même, à gagner. On avait fait le match parfait. Paris était en méforme, et l'avait aussi peut-être pris à la légère. Un Pius Ndiefi qui marque son premier but du gauche, lui qui ne frappait jamais de ce pied. Il la met en lunette. Je me souviens de l'image de mon but : juste après avoir marqué, je fais le branleur. Je me la joue. Pourquoi ? Parce qu'à l'arrivée du PSG au stade, nous, on était en survêtement, eux en costard. Il y a eu des petits sourires. On était, entre guillemets, les ploucs. J'avais été vexé. Donc quand je marque, je fais le frimeur, je remonte mon col.

Cédric Mionnet : «Les Smart, c'était extraordinaire»

«Etant donné que je suis resté dans les Ardennes, j'ai eu la chance d'avoir une reconversion très enrichissante. Je suis maintenant responsable du service prévention sports et loisirs au sein du conseil départemental. Je suis toujours dans le milieu sportif. Puisque je suis resté ici, je croise régulièrement les supporters. Avec la Coupe de France, les gens sont un peu plus excités, surtout qu'on a la chance de recevoir une Ligue 1. Ça réveille un peu tout le monde. Les supporters sont vraiment en manque. Ça fait un moment qu'il n'y a pas eu de Ligue 1 ici. Et avec ce coronavirus, ça va gâcher la fête. Dans notre département et dans la ville, on sait l'importance d'une Coupe de France.
 
Même vingt ans après, dans la rue, les gens sont toujours autant passionnés. Surtout quand je parle à ceux qui ont toujours suivi le club. Ils sont fadas. Quand je croise quelqu'un, ce qui revient, c'est Paris, ce fameux but, avec la victoire 5-1. Ils reparlent beaucoup de la finale de la Coupe de France et Garibian qui nous a sifflé un penalty (Il sourit). C'est marrant. C'est toujours touchant et ça fait chaud au coeur.

De cette saison 2000-01, je me souviens aussi du grand Lyon, où j'avais mis un but devant (Grégory) Coupet. Et Lens, étant donné que je suis originaire du Pas-de-Calais. Je ne vous raconte pas tous les copains, toute la famille qui étaient Lensois. On avait gagné là-bas. Le bonheur était multiplié.
 
On est arrivés en 1997. Tout est parti de là avec un Bruno Metsu qui a construit cette équipe. Il nous a inculqué un mental d'acier. On était des chiens sur le terrain. A cette période, je venais d'emménager et, tout d'un coup, les présidents sont arrivés en disant : "On ne sait pas si on va repartir." Il risquait d'y avoir un dépôt de bilan. Ils allaient nous laisser libres et on allait pouvoir aller où on voulait. Sauf que moi, par exemple, je n'avais que Sedan. On s'est dit qu'on restait, et ç'a soudé le groupe. Ensuite, on s'entendait bien en dehors et sur le terrain. On se voyait au cours de repas, de soirées. On en a fait des belles dans un restaurant chinois, par exemple. On ne se prenait vraiment pas au sérieux. C'était notre force. Qu'on gagne ou qu'on perde, il y avait le Club House en-dessous d'une tribune. On finissait là-bas, avec une dizaine de joueurs, en train de boire une bière et de chanter avec les supporters. Mais on pouvait en prendre plein la tête. C'était ça aussi notre force : qu'on en prenne ou qu'on en mette quatre, on était avec eux, on expliquait, ils comprenaient. C'est pour ça qu'on a été rarement sifflés, surtout à Louis-Dugauguez. On était très proches d'eux. Je me souviens d'une personne qui avait vendu sa mobylette pour s'acheter un abonnement. Quand on voit ça, ça fait mal au coeur. Ceux qui venaient nous supporter à l'extérieur, à Nice, à Lyon, on se disait : "Mais qu'est-ce qu'ils font ?". Des personnes qui n'avaient pas les moyens, mais ils se sacrifiaient pour nous, pour le CSSA. Des gens quittaient le boulot et venaient à chaque entraînement en vélo. C'est très fort. Moi, avec le public, j'ai toujours été très proche, j'aimais communier avec eux. Cela a toujours été quelque chose d'extraordinaire.

L'époque des Smart, oui, je m'en souviens (Il sourit). C'était à la fois bien et pas bien : c'était dangereux ! C'était une voiture qui allait à 130 km/h maximum. Et quand vous étiez sur la voie rapide, les supporters nous doublaient, on était côte à côte, ils ralentissaient... Quand on allait dans les magasins, ils voyaient une Smart, et quand c'était la mienne, ils regardaient dans tous les rayons... C'était extraordinaire. Sur une zone commerciale, parfois, je me garais sur le parking de Décathlon pour aller trois magasins au-dessus (Il sourit). On s'en fichait. Ce n'étaient pas des supporters agressifs. Cela a toujours été bon enfant. C'est pour ça qu'on pouvait se promener avec nos Smart.
 
Je suis arrivé en National. Pour moi, c'était le haut niveau. Puis la Ligue 2, une épopée en Coupe de France et la D1. La première année de D1, je ne vous raconte pas... J'étais un touriste. Je me demandais ce que je foutais là, sur des pelouses pareilles ! C'est tout juste si on n'enlevait pas nos chaussures pour marcher sur la pelouse. Il faut savoir que, nous, on n'avait pas de terrain ! On allait s'entraîner dans des villages. Donc jouer à Lyon, Marseille, Paris... C'était un rêve. C'est pour ça qu'on ne se prenait vraiment pas la tête. Je croquais chaque match à pleine dent parce que, pour moi, ce n'était pas possible ! On a su faire autant d'exploits parce qu'on savait d'où on venait, et parce qu'on se disait les choses. On savait faire notre autocritique, chose que, aujourd'hui, les joueurs n'y arrivent pas. Il y avait des bons gars, sains, mais des gueules. Ils voulaient marquer un département.»

«Juste après avoir marqué, je fais le branleur. Je me la joue. Pourquoi ? Parce qu'à l'arrivée du PSG au stade, nous, on était en survêtement, eux en costard. Il y a eu des petits sourires. On était, entre guillemets, les ploucs. J'avais été vexé. Donc quand je marque, je fais le frimeur, je remonte mon col.»

Mionnet, Elzéard, Deblock et consorts face à Pascal Garibian qui vient de siffler un penalty décisif en finale de la Coupe de France. (LANDRAIN/L'Equipe)

«Qu'on gagne ou qu'on perde, il y avait le Club House en-dessous d'une tribune. On finissait là-bas, avec une dizaine de joueurs, en train de boire une bière et de chanter avec les supporters.»

Ensuite, je suis arrivé pour la saison 1999-2000, c'était extraordinaire. On avait une équipe de copains, et de réelles qualités intrinsèques. Ce n'est pas qu'on ne s'attendait pas ça car, quelque part, on l'a mérité. Avec le recul et l'âge, on se disait que, quoi qu'il en soit, c'était éphémère car on ne pouvait pas rivaliser au haut niveau. Quand on a commencé en D1, on nous appelait les SDF de la D1. Parce qu'on n'avait pas de terrain d'entraînement. On était accueillis par de petites communes qui nous permettaient de nous entraîner. On se faisait masser sur les tables de bars. C'était ça, le folklore. Pas de prise de tête, tout le monde allait dans le même sens, et c'est comme ça que les résultats se sont enchaînés. On a fait rêver mais on a rêvé aussi.
 
Après les matches à Emile-Albeau, j'ai le souvenir qu'on se retrouvait et que c'étaient les joueurs qui étaient derrière le bar pour servir les boissons. Les supporters étaient avec nous. C'était familial. Le club était obligé de passer par là : mais ç'a perdu de son charme de se structurer avec un centre d'entraînement et surtout un stade. J'ai toujours dit qu'on s'était un peu embourgeoisé quand on est passés d'Emile-Albeau à Louis-Dugauguez. Ça s'est éclaté de tous les côtés. Cette ambiance d'Albeau était extraordinaire.

On se qualifie pour l'Intertoto la première année, puis la Coupe de l'UEFA la deuxième année contre Auxerre. Avant le match, en rigolant, j'avais dit que je faisais le tour du terrain à poil si on se qualifiait. On gagne. A la fin, Moussa Ndiaye et Salif Diao me sautent dessus et me foutent à poil. J'ai dû traverser tout le terrain en courant, j'étais à l'opposé des vestiaires et je n'avais plus que mes gants. C'était le samedi. Le lundi suivant, je vais faire les courses avec mon épouse. Je ne pensais plus à l'épisode de la fin du match. Dans le magasin, trois femmes discutent entre elles. Une me regarde et me dit : "Joli fessier." Là, je me suis dit : "Merde, je ne pensais plus à ça." (Il sourit). C'était ça aussi Sedan. Peu importe ce qui arrivait, on savait qu'on avait tout le monde derrière.»

«Quand on allait dans les magasins, ils voyaient une Smart, et quand c'était la mienne, ils regardaient dans tous les rayons... C'était extraordinaire. Sur une zone commerciale, parfois, je me garais sur le parking de Décathlon pour aller trois magasins au-dessus.»

Mionnet, l'idole d'un peuple. (PAPON/L'Equipe)

Tout ça a commencé en National avec Bruno Metsu. C'est là qu'on a appris à se connaître, c'est le club qui nous a redonné notre chance. Il y a eu tout de suite une osmose. Metsu était quelqu'un qui savait galvaniser ses troupes, un meneur d'hommes. Il avait su nous recruter et nous faire remonter en Ligue 2. Puis l'époque Patrick Rémy qui nous a apporté autre chose. Il avait ramené quelques joueurs pour compléter l'effectif en plus du noyau dur de National qui était resté. Du National jusqu'aux deux premières années de Ligue 1, ç'a été exceptionnel. Ce qui m'a le plus marqué, c'est la victoire face à Saint-Etienne pour la montée en D1. L'autre grand moment, c'est quand on sort des vestiaires du Stade de France lors de la finale de la Coupe de France. Avant le match, il y a toujours la finale de la Gambardella, avec le public déjà dans le stade : et là, on voit tous les supporters vert et rouge qui sont là, ça fait drôle, quand même. Là, on se dit que les Ardennes y sont ! En National, il n'y avait pas une semaine où on ne mangeait pas les uns chez les autres le jeudi ou le vendredi soir. Il y a plein de bons moments... Ce n'était que du bonheur.

Il y a eu le Sedan en D1 à Albeau et le Sedan en D1 à Dugauguez. Albeau, pour les adversaires, c'était le traquenard, clairement. C'était chaud bouillon, c'était rempli, les grillages étaient au bord du terrain, avec des vestiaires assez vieillots, des tribunes en préfabriquées. En terme d'ambiance, c'était exceptionnel. Entre la sortie des vestiaires et le Club House, on était au milieu des supporters. Ensuite, il y a eu Dugauguez. On a eu une ou deux années exceptionnelles, car on arrivait à faire venir 23-24 000 places quasiment tous les quinze jours. Mais c'était une autre ambiance. La communion avec les supporters était différente. Donc le vrai Sedan de l'époque, entre guillemets, c'était Albeau. Aujourd'hui, c'est impensable.
 
Ensuite, cela a été différent. Pour moi, le grand chamboulement, ç'a été le départ d'Olivier Quint. Moi qui avait été là avant et qui est resté après... On avait perdu Pierre Deblock (en 2000), mais ç'a avait fonctionné, en récupérant par exemple Moussa Ndiaye. Mais le départ d'Olivier a été le vrai tournant. C'était le leader technique de l'équipe. On a ensuite perdu Alex Dupont, et puis là c'est parti en saucisse complet...»

Chaque joueur du CSSA avait sa propre voiture avec son nom. De quoi passer inaperçu, ou presque. (C.Guibbaud/L'Equipe)

Patrick Regnault : «On nous appelait les SDF de la L1»

«Je suis ambassadeur du sport à Ardenne-Métropole. On s'occupe de la gestion du sport de haut niveau. Et, à côté de ça, je suis coach sportif et entraîneur d'une équipe de foot à côté de Sedan. Je suis originaire du département, j'y suis resté. La période 1999-2000-2001 me tient à coeur pour plusieurs raisons. Si on ne parle que de la Coupe de France 1998-99, la demi-finale Sedan-Le Mans, je l'ai connu à Sedan... mais contre Sedan car j'étais avec Le Mans. C'était un sentiment partagé : on perd, mais je suis content, en tant qu'Ardennais, que Sedan se retrouve en finale.

Je suis arrivé en 1998 pour la montée en première division. Je jouais à Saint-Denis-Saint-Leu. Le dernier match, pour la montée, c'était à Sedan. J'étais adversaire. On avait pris 5-0, et j'ai vu la ferveur populaire qui était magique. Avec l'osmose entre les joueurs. C'était une machine bien huilée. Quand ils m'ont appelé, je suis venu directement. Quand on passe à Sedan, avec l'ancien stade Emile-Albeau, la ferveur est impressionnante. La première fois que je suis arrivé dans la ville, c'était fin juillet, il faisait très gris. J'étais à l'hôtel. Tout était fermé. J'ai mangé un américain dans la friterie la plus réputée de Sedan. C'était bizarre. Ça faisait peur et je me demandais où j'étais tombé. Une fois qu'on reprend le chemin des terrains, ça s'efface vite.
 
Un souvenir gravé ? Mon premier but en D1 contre Auxerre. Je m'étais fait un peu chambrer par le coach adjoint, Farid Fouzari, comme quoi je ne marquerai jamais un but. Ce jour-là, c'était extraordinaire pour moi. Sinon, ce qui était marquant, au-delà de la finale de la Coupe de France, c'était la demi-finale à Emile-Albeau. On arrivait en bus, après la mise au vert, et sur les cinq à dix derniers kilomètres, on avait les supporters à côté de nous. Toutes catégories sociales et toutes catégories d'âges confondues. Tout le monde était réuni pour un seul objectif.

Dans ce groupe, il y avait les têtes d'affiches comme Cédric Mionnet, Nicolas Sachy, mais tout le monde était uni. Chacun restait à sa place. Il n'y avait pas de grosses têtes. Il y avait Luis Satorra, le capitaine, le patron, très calme. On parle beaucoup des attaquants, mais lui m'a marqué.
 
Je suis originaire la région de Tours, à plus de 500 kilomètres de Sedan et je connaissais des supporters qui venaient simplement pour le week-end, pour voir le match à Sedan. On le ressentait. Ça venait de toute la France pour nous voir jouer, et c'était impressionnant. On parlait de nous un peu partout.»

«On n'avait pas de terrain d'entraînement. On était accueillis par de petites communes qui nous permettaient de nous entraîner. On se faisait masser sur les tables de bars. C'était ça, le folklore. Pas de prise de tête, tout le monde allait dans le même sens, et c'est comme ça que les résultats se sont enchaînés. On a fait rêver mais on a rêvé aussi.»

«A la fin, Moussa Ndiaye et Salif Diao me sautent dessus et me foutent à poil. J'ai dû traverser tout le terrain en courant, j'étais à l'opposé des vestiaires et je n'avais plus que mes gants.»

Patrick Regnault, en 2001 avant un match face à l'OL. (BARDOU/L'Equipe)

Cédric Elzéard : «Sedan vivait football et ne faisait qu'un»

«Le coeur est resté sedanais à partir du moment où on est dans les Ardennes (NDLR : Il est gérant d'un bar-tabac à Bazeilles, à côté de Sedan) et qu'on a été Sedanais. On a marqué l'histoire, c'est clair. Les gens sont hyper nostalgiques de cette période, surtout que ça ne redécolle pas. La période 1999-2000-2001, c'est indescriptible. Une communion se créée. Lors du parcours en Coupe de France, plus on avançait, plus cela devenait hors-norme. Jusqu'à la finale, l'apothéose complet. Au-delà des matches, je retiens ce qu'il s'est passé dans la ville. Les rues étaient baptisées au nom des joueurs, il y avait des sangliers, du vert et du rouge partout. Sedan vivait football et ne faisait qu'un.

«Metsu était quelqu'un qui savait galvaniser ses troupes, un meneur d'hommes. Il avait su nous recruter et nous faire remonter en Ligue 2.»

«Il y a eu le Sedan en D1 à Albeau et le Sedan en D1 à Dugauguez. Albeau, pour les adversaires, c'était le traquenard, clairement. C'était chaud bouillon, c'était rempli, les grillages étaient au bord du terrain, avec des vestiaires assez vieillots, des tribunes en préfabriquées.»

Cédric Elzéard au milieu de Salif Diao et Eduardo Oliveira. (CLEMENT/L'Equipe)

Eric Crosnier : «La seule issue pour rêver un peu, c'était le foot»

«Aujourd'hui, je travaille chez Carrefour, dans la grande distribution. Je suis responsable de rayon. Un changement total (Il sourit). On est huit à être restés dans la région. On dit toujours que les Ardennes, ce n'est pas beau, mais il y a une qualité de vie : on est assez tranquilles ici ! Et même après plus de vingt ans, on est toujours reconnus. C'est impressionnant. Quand je travaille, je vois énormément de personnes : des clients viennent dans le rayon discuter des années passées. On revient sur l'époque de la Coupe de France, la demi-finale, le match de la montée... Cette période était familiale. Les joueurs et les supporters ne faisaient qu'un. Ils venaient nous encourager et, ensuite, on buvait des coups ensemble. On partageait vraiment. Quand on sortait de l'entraînement, on discutait avec eux, et on était invités à boire un verre chez eux, juste à côté du stade. On allait dans les villages pour s'entraîner, à droite, à gauche et les supporters nous proposaient de venir boire un verre ou de manger avec eux. Chose qu'ils ne feraient plus maintenant ! C'est une ville très pauvre. La seule issue pour rêver un peu, c'était le foot. Tout le monde s'arrachait pour venir au stade. Même s'ils n'avaient pas les moyens, ils trouvaient toujours une solution. Une ferveur footballistique, une ville de foot. Donc, nous, pour rendre la monnaie de la pièce, on était obligés de courir, déjà, de mouiller le maillot. Et si on n'était pas bon mais qu'on mouillait le maillot, ils étaient toujours avec nous. La récompense, c'était de se battre, de communier avec eux, d'aller boire un verre avec eux. De rester des gens simples.

«La première fois que je suis arrivé dans la ville, c'était fin juillet, il faisait très gris. J'étais à l'hôtel. Tout était fermé. J'ai mangé un américain dans la friterie la plus réputée de Sedan. C'était bizarre. Ça faisait peur et je me demandais où j'étais tombé.»

«Je suis originaire la région de Tours, à plus de 500 kilomètres de Sedan et je connaissais des supporters qui venaient simplement pour le week-end, pour voir le match à Sedan. On le ressentait. Ça venait de toute la France pour nous voir jouer, et c'était impressionnant. On parlait de nous un peu partout.»

Timothé Crépin