marquinhos (A.Mounic/L'Equipe)

Du gamin au patron, de l'appareil dentaire au brassard de capitaine, l'ascension de Marquinhos au PSG racontée par ceux qui l'ont côtoyé

Arrivé au PSG sur la pointe des pieds en 2013, Marquinhos a combiné intelligence, patience, polyvalence et excellence jusqu'à devenir capitaine du club de la capitale. Une évolution en toute discrétion, fidèle au caractère sage et affirmé du défenseur brésilien.

Les yeux écarquillés, le regard fixe et franc, la mâchoire grande ouverte, les genoux plus ou moins fléchis et les poings bien serrés. Une rage qui explose pour mieux trancher avec l'ordinaire sérénité que dégage un jeune homme au sourire facile. Cette mimique, de Paris à Manchester en passant par Marseille ou Lisbonne, est devenue la signature de Marquinhos. Sa carte de visite, même. Un tacle désespéré devant le FC Barcelone, un but décisif face à l'Atalanta ou Man United, une action a priori anodine mais qui rapproche son équipe de la victoire contre Liverpool ou Dortmund... Les années défilent, le statut évolue, mais lorsqu'il s'agit d'éteindre un incendie, le numéro 5 parisien n'est jamais bien loin. «Quand il faut performer dans les grands rendez-vous, il répond toujours présent, affirme Christophe Jallet, son coéquipier durant sa première saison parisienne (2013-14). Son match à Manchester au mois de décembre (3-1) en est le dernier exemple en date. Il marque, c'est symbolique, mais au-delà de ça, je retiens son intervention devant Anthony Martial quelques minutes plus tôt. Ça m'a beaucoup fait penser à son tacle rageur quand il avait sauvé un ballon chaud face au Barça (en septembre 2014, ndlr). Il s'était relevé comme un fou en criant ! Ça, c'est Marquinhos : un joueur à la détermination exemplaire. Son attitude en fait un moteur de l'équipe, et je peux vous dire qu'il a été important pour le PSG dans ce sens.»

L'explosion de joie de Marquinhos après un tacle décisif face au Barça, en septembre 2014. (Photo Mantey/L'Equipe)
La rage de Marquinhos face au Borussia Dortmund, en mars 2020. (A. Simoes/AFP)

À vrai dire, celui qui est aujourd'hui le capitaine du club de la capitale a toujours été un guide pour ses partenaires, depuis ses plus jeunes années au Corinthians. «J'ai un souvenir incroyable d'un but inscrit depuis notre propre camp face à Barcelone dans un tournoi de jeunes, rembobine Yuri Souza, partenaire de formation et ami proche de "Marqui". Dans les gros matches, il y a des joueurs qui se cachent. Lui, il prend toujours ses responsabilités. Et il est souvent buteur... C'est la marque des meilleurs du monde. Il est incroyable ce mec ! Sur le terrain, il est vraiment différent, plus sérieux. En dehors, il rigole beaucoup, est constamment dans le partage avec sa famille, ses amis. Mais sur le terrain, ça ne rigole pas !» De l'extérieur, pourtant, lorsque le PSG a recruté ce prometteur défenseur de l'AS Roma contre 35 millions d'euros à l'été 2013, celui-ci renvoyait l'image insouciante classique du gamin souriant et réservé. Son appareil dentaire rappelait alors son âge et sa fraîcheur, mais le caractère était en réalité déjà bien affirmé. «Il était déjà très pro, facile à manager, explique un ancien membre du staff du PSG. Malgré ses dix-neuf ans, il était déjà fait ! C'est quelqu'un qui capte tout très rapidement, qui assimile sans qu'on répète les choses. C'est le signe d'un joueur de très haut niveau.»

Apprentissage, appareil dentaire et idées préconçues

«Quand je le vois aujourd'hui, je retrouve le Marquinhos que j'ai connu à Rome, confirme Federico Balzaretti, actuel consultant pour RMC Sport. Il pouvait donner l'impression d'un garçon timide, mais c'était plutôt une marque de respect. Ce n'est pas un mec qui arrive quelque part en disant : "Attention, je suis Marquinhos".
Beaucoup de jeunes pensent être déjà arrivés, tout savoir... Pas lui. Le plus impressionnant, c'est sa grande intelligence, sa lecture de jeu. Ça se voyait tout de suite, au-delà de sa vitesse et de sa technique. Il analysait le jeu à l'avance. Et quand je parle d'intelligence, ça vaut aussi pour son intégration dans un vestiaire. À Rome comme à Paris, il y avait des personnalités très fortes, mais il a fait sa place en toute simplicité. Après quelques semaines, il parlait parfaitement italien, et ç'a été la même chose pour le français. Ça rend l'intégration naturelle.» Sur la pelouse non plus, Marcos Aoas Corrêa n'a pas tardé à se faire connaître. «Au départ, comme on le connaissait moins, qu'il était jeune et donc potentiellement plus fébrile, on jouait plutôt vers sa zone pour éviter Thiago Silva, mais on s'est vite rendu compte de ses qualités», admet Nolan Roux. Adversaire avec Lille, Saint-Étienne, Metz et Guingamp, l'attaquant nîmois a vite rangé au placard ses idées préconçues : «Tu le découvres, il a encore son appareil dentaire, tu t'interroges, mais au bout de vingt minutes, tu as compris : il court vite, il saute haut, donc tu mises sur une erreur de jeunesse, de placement... Sauf qu'il n'en faisait pas plus que ça (rires).»

Avec 26 titularisations toutes compétitions confondues la première saison, puis 38 et 33 lors des deux exercices suivants, la progression est fluide, les promesses sont constantes, mais le costume de super remplaçant polyvalent commence à être un peu étroit. Après Alex, c'est David Luiz qui squatte la place réservée aux côtés de Thiago Silva, reléguant le jeune padawan sur le banc ou le flanc droit. Jamais un mot plus haut que l'autre, toujours dans le respect de ses aînés et de son coach, Marquinhos répète : «Je suis jeune, j'apprends, j'écoute et j'attends mon heure». Même si l'attente se fait longue et que certains l'incitent à franchir le cap ailleurs. «Il s'est toujours bien comporté, est resté à sa place, a été extrêmement patient, souffle un ex-habitué du Camp des Loges. Il aurait pourtant pu revendiquer plus de temps de jeu, il a été déçu par moments, il n'a pas compris certains choix, mais il a ravalé sa fierté et a continué de bosser. Il méritait de jouer plus et est passé par des moments difficiles, mais il avait conscience qu'il avait des joueurs avec une personnalité et un statut importants devant lui. Comme il est très intelligent, il s'en est servi, et ça l'a renforcé.» Bien élevé, positif, profondément respectueux de la hiérarchie, Marquinhos a donc pris son mal en patience. Tout en voyant sa direction repousser les approches (Manchester United, FC Barcelone...), consciente du processus en cours. «Il y avait une forme d'évidence, reprend Balzaretti. Je n'ai jamais pensé qu'il devait partir ou qu'il n'arriverait pas à s'imposer.»

Thiago Silva, l'idole devenu mentor de Marquinhos au PSG. (F.Faugere/L'Equipe)

Un profond respect de la hiérarchie

«Il a toujours été très fort dans la tête, poursuit Yuri Souza. Même quand il avait moins de temps de jeu, il a toujours respecté tout le monde. Derrière Alex, David Luiz, il a travaillé, attendu l'opportunité. Et quand elle est arrivée, il l'a saisie, c'était terminé. Ç'a été dur pour lui par moments, mais c'était normal, ça faisait partie de son apprentissage. Et il n'a jamais voulu s'en aller. Il aime Paris, le club, les supporters... Il s'est vite adapté, il a fondé sa famille ici, et même quand il jouait moins, il ne pensait pas à partir. Juste à bosser et à s'imposer.» Dans l'intimité du vestiaire comme devant les micros, pas question de sortir du cadre. Question d'éducation. «L'entraîneur, c'est le chef, et Marquinhos est respectueux de ça, répète Christophe Jallet. S'il n'est jamais monté au créneau, c'est parce qu'il était persuadé que son travail allait payer. Même s'il a dû éprouver de la frustration quand il était remplaçant, parce qu'il estimait à juste titre qu'il méritait de jouer. Il ne se serait jamais permis de dire quoi que ce soit, même ces derniers mois quand on lui posait sans cesse la question de son positionnement au milieu. Il n'a jamais remis en question son entraîneur, il a respecté ses choix.» Y compris une fois qu'il avait plié bagages. «On remercie ce que Thomas Tuchel a fait pour nous ici, surtout pour moi, admettait-il après le Trophée des Champions le mois dernier. Je pense que j'ai bien progressé avec lui, il m'a montré un nouveau niveau de football que même moi je ne pensais pas atteindre.»

Il est en tout cas un titulaire indiscutable depuis bientôt cinq ans et le départ de David Luiz à l'été 2016. Et au fil des mois, le gamin prometteur a pris de l'assurance pour devenir un taulier sécurisant. «Il a été à bonne école», insiste Christophe Jallet en évoquant l'influence de Thiago Silva, l'idole devenu mentor. «Il l'a vraiment bien drivé, Marqui a énormément appris à son contact et ça se voit aujourd'hui. Être associé à Thiago Silva, ça inspire, ça donne des clés. En plus de ses qualités athlétiques, il a vu comment combler certains manques dans la gestion, l'anticipation...» «Ils étaient proches et ils ont beaucoup travaillé ensemble, embraye Yuri Souza. Thiago, ce n'est pas un joueur normal ! C'est un grand champion et il voyait Marquinhos comme son successeur naturel.» Personne n'a donc été surpris, à la fin de l'été, lorsque le brassard est passé de l'un à l'autre après la fin de l'idylle parisienne du "Monstro". «Il n'y avait aucune discussion possible, tranche Jallet. C'est Marquinhos qui représente l'âme et l'identité de ce PSG.»

À vingt-six ans, le voilà donc devenu le visage, le référent et le patron d'une équipe candidate à la gloire suprême. Sans grand discours, sans débat non plus. Il faut dire que son caractère rassembleur et positif avait depuis longtemps plaidé en sa faveur. «Dans un vestiaire, c'est quelqu'un qui motive beaucoup, il est très fort pour ça, appuie Yuri Souza. Quand il prend la parole, c'est toujours dans un bon état d'esprit. Il donne de la force à ses partenaires. Et quand un ballon est perdu, c'est le premier à sprinter pour le récupérer ! Il est toujours le premier, l'exemple à suivre. Et puis je ne l'ai jamais vu stressé, anxieux. Il est toujours d'un calme incroyable. Trop, même !» Une aura qui impressionne aussi ses adversaires, à l'image de Nolan Roux : «Ce n'est pas forcément leader par la parole, mais par sa présence, ce qu'il dégage. On sait que dans les moments chauds, il sera toujours là. Il assure, et dans ces cas-là tu n'as pas besoin de parler beaucoup.»

C'est d'ailleurs dans ce domaine que le nouveau capitaine parisien se démarque le plus de son prédécesseur. Quand un Thiago Silva laissait parfois ses émotions déborder, ou n'hésitait pas à reprocher leurs erreurs à certains partenaires sur le terrain, Marquinhos s'attache à ne jamais perdre son leadership positif, et son recul dans l'analyse. «Quand il s'exprime, il ne parle pas comme un footballeur, apprécie Federico Balzaretti, qui continue de côtoyer son ancien protégé depuis son poste de consultant pour RMC Sport en Ligue des champions. Il défend ses coéquipiers mais sait aussi être dur quand il le faut. Il n'est jamais banal. Quand il doit dire des choses, il le fait. Et son message est toujours très positif.» Ce qui lui a permis, aussi, de passer à travers les gouttes et les déroutes. Même si la plus fracassante d'entre elles l'a profondément marqué. «Après la défaite 6-1 à Barcelone, il était d'une tristesse absolue, touché, énervé, assure Yuri Souza. C'était un moment très difficile pour lui, parce que c'est quelqu'un qui analyse toujours ses performances et travaille en conséquence pour ne pas répéter ses erreurs.»

C'est là que le côté cérébral du garçon entre en scène. Avec Marquinhos, aucun match n'est galvaudé, chaque action est pensée, étudiée, comme il le confiait récemment à So Foot : «Un défenseur doit continuellement analyser toutes les lignes de passes possibles, déceler les zones qui peuvent être potentiellement dangereuses, suivre les déplacements des attaquants adverses, les anticiper, tout en gardant un oeil sur le ballon et sur le placement de ses coéquipiers. Pour que l'organisation défensive soit parfaite tu dois traiter une multitude d'informations spatio-temporelles. Défendre, c'est mental. Parfois, j'ai tellement de choses à l'esprit que je finis les matches avec des maux de tête.» Un point commun avec la plupart des attaquants qui croisent son chemin. «Avec lui, tu ne vas pas avoir de bleus, de traces de crampons, mais en revanche mentalement c'est dur, concède sans mal Nolan Roux. S'il faut répondre présent dans un gros duel, il est là, mais il ne va jamais mettre le pied en avant. Tout le match, comme avec Thiago Silva, tu attends qu'il oublie quelque chose à un moment, mais ça n'arrive pas... Il ne fait pas d'erreur.»

Tout le monde aime Marquinhos

Adoré par ses supporters, adoubé par ses partenaires, respecté par ses adversaires, Marquinhos réussit un exploit rare pour un joueur du PSG : faire l'unanimité. Habitué aux personnages clivants, le club de la capitale est désormais guidé par un taulier apprécié de tous. «C'est vrai que tout le monde l'aime, parce qu'il a une humilité incroyable, insiste Yuri Souza, accueilli et conseillé par son ami lors de son arrivée en France en 2017. C'est la même personne que j'ai connu il y a quinze ans ! Il peut être tellement sérieux sur le terrain ou dans les interviews, mais en dehors il est d'une gentillesse et d'une ouverture dingues. Moi, si j'ai un problème important, je vais lui en parler et je sais qu'il va être de bon conseil. Ce qu'il y a de plus beau chez lui, c'est son côté humain. Tu ne peux pas trouver quelqu'un qui te dit que Marquinhos est méchant, qu'il a des soucis en dehors du terrain... C'est impossible.» On l'a même vu fendre la carapace devant les caméras de Canal Plus il y a trois ans, au moment où son grand ami Lucas Moura, privé de temps de jeu, vivait ses dernières semaines à Paris. «Ah, ces deux-là, c'était Tic et Tac, se rappelle Christophe Jallet dans un éclat de rire. Jamais l'un sans l'autre ! Son émotion à ce moment-là traduit son attachement à certaines valeurs. Au-delà du joueur, c'est hyper important d'avoir des personnes comme lui dans le foot.»

Et le joueur, justement, dans tout ça ? Couvé par ses aînés depuis des années, utilisé bon gré mal gré à plusieurs postes, Marquinhos se retrouve désormais pour de bon en première ligne. Persuadé, tout de même, que son séjour dans l'entrejeu l'a rendu meilleur. «Au milieu, tout est plus confus, le danger peut venir de partout, analysait-il dans So Foot. Il y a moins d'espaces, plus d'incertitudes, tu as moins le temps de penser. La clé, c'est d'examiner tout ce qui se passe autour de toi avant même de recevoir le ballon. Il faut sans cesse pivoter la tête, jeter des coups d'oeil partout. Si tu ne scannes pas ce qui se passe autour de toi, si tu n'anticipes pas le mouvement des adversaires ou de tes coéquipiers, tu peux mettre ton équipe en difficulté. Comprendre tout ça m'a permis d'étoffer mes qualités de défenseur. Désormais, j'analyse beaucoup plus vite les situations, mes prises de décisions sont plus claires, du coup, je suis plus tranchant.»

«Quand tu es bon partout, ça veut dire que tu comprends le jeu, loue Federico Balzaretti. On va vers un football où la spécialisation des rôles ne sera plus aussi importante. Être capable d'évoluer à plusieurs positions, pour mieux occuper les espaces, ça fait partie de l'évolution du jeu. Pour ça, il faut des joueurs intelligents. Ça m'étonne qu'on ne parle pas plus de lui. Mais avec sa simplicité, tout ce qu'il apporte ne se voit pas forcément à l'oeil nu. Sergio Ramos, par exemple, n'est pas toujours aussi bien positionné mais va faire de grandes interventions, plus visibles. Le fait d'être autant dans l'anticipation se remarque moins, mais pour moi il fait partie du top 3, top 5 au monde. Il est du même niveau que les Ramos ou Van Dijk. Il peut être titulaire au Real Madrid, à Liverpool, à Barcelone... Partout !» «Devenir le meilleur défenseur du monde, c'est un objectif personnel, je veux aller chercher ça», avouait l'intéressé en novembre 2019, un an avant que Thomas Tuchel n'estime qu'il avait «le niveau Ballon d'Or». Rendez-vous en décembre ?

Un tifo à l'effigie de Marquinhos, devenu le symbole du PSG et l'idole des supporters. (S. Mantey/L'Equipe)

Cédric Chapuis