imorou (emmanuel) (R.Martin/L'Equipe)

Jeune retraité, Emmanuel Imorou raconte sa carrière : «Je ne me suis jamais considéré comme un futur pro»

A 32 ans, Emmanuel Imorou a annoncé qu'il raccrochait les crampons. L'ancien international béninois, passé par Châteauroux, Gueugnon, Clermont, Braga, Bruges et bien sûr Caen raconte sa carrière à travers plusieurs dates marquantes.

«Le jour où vous jouez votre premier match chez les pros.
Dernière journée de Ligue 2, en 2008 en mai, contre Clermont. On gagne 1-0 (NDLR : But de Scarpelli, le 16 mai). Un super souvenir. Ça s'est fait d'une façon assez bizarre : une semaine avant, je vois le directeur du centre qui me dit qu'il me prolonge d'un an en tant qu'amateur. Je lui dis que je ne resterais pas au club si c'était pour être amateur. J'allais reprendre des études. Je vois le président Patrick Trottignon, qui me demande les conditions pour rester. Je lui dis que je voulais signer pro. A ce moment, le club était maintenu, Samuel Allegro décide de ne pas jouer le dernier match. Il est en fin de contrat, il ne veut pas se blesser. Le jeudi, je m'entraîne avec le groupe pro, le vendredi je joue mon premier match. Ça se passe super bien. Le samedi, au match de la réserve, je vois le président qui me dit qu'ils vont me faire signer trois ans pro (Il sourit). En une semaine, je suis passé de ne jamais commencer ma carrière à signer mon premier contrat.
 
Donc la formule qui dit que le foot va très vite...
Ah là, pour le coup, je l'ai vécu ! C'était un conte de fée, presque.
 
Mais si ce contrat n'arrive pas, vous reprenez vos études.
Ouais, j'avais déjà fait deux entretiens pour faire un DUT technique de commercialisation. J'avais été pris. J'étais assez content. C'était deux ans après le bac. Je m'étais préparé si jamais cela ne se passait comme je le voulais dans le foot. J'avais fait ce qu'il fallait pour pouvoir rebondir autrement.

«J'avais cette ambition d'être pro, même si j'étais lucide sur mes capacités»

Etiez-vous prêt à faire une vie sans foot ?
Sans foot pro oui, foot tout court, non. Je ne me suis jamais considéré comme un futur pro. J'avais cette ambition, même si elle était assez mesurée à l'époque parce que j'étais lucide sur mes capacités.
 
Le jour où vous jouez avec Tony Vairelles.
(Il éclate de rire) Je ne joue pas trop à Châteauroux lors de la première saison (7 matches). Avec (Dominique) Bijotat, le nouveau coach, je ne joue jamais. Je demande à être prêté. Je signe à Gueugnon (en National). Le jour où j'arrive, à l'hôtel, je vois Tony Vairelles. Je me dis que c'est bizarre, il ne me semble pas qu'il a signé, je trouve ça chelou. Après, très vite, on comprend qu'il va y avoir des changements. Tony Vairelles, ce n'était pas forcément mon époque, j'étais assez jeune quand il jouait. Je le connaissais forcément, mais je n'étais pas fan du joueur ou quoi. Ça a fait bizarre, sans plus. Mais là où c'était plus compliqué, c'est qu'il a amené sa famille dans le club, ça a posé beaucoup de problèmes. Et, par la suite, on a vu que ça amené le club à son dépôt de bilan.
 
Le jour où vous disputez votre premier match avec le Bénin.
Je ne sais pas si ça compte comme une sélection officielle mais en décembre 2009 ou janvier 2010, avant de partir pour la Coupe d'Afrique, on reçoit la Lybie à Cotonou. On gagne. Ensuite, j'entre lors de la CAN contre le Mozambique (12 janvier 2010 lors de la CAN organisée en Angola ; le Bénin termine troisième de sa poule derrière l'Egypte, future lauréate, et le Nigeria).

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-«Le foie gras et moi, on s'entend très bien» : Emmanuel Imorou répond au questionnaire de Noël de FF

Imorou, époque Châteauroux. (P.Minier/L'Equipe)

Quel sentiment domine lors de cette première avec le Bénin ?
C'est un truc de fou. Je suis un joueur de National. J'avais déjà été démarché par la sélection, déjà par Michel Dussuyer qui était venu me voir à Châteauroux mais je lui ai dit que je n'étais pas prêt. A ce moment, le Bénin se qualifie pour la CAN. C'était un peu de l'opportunisme, on ne va pas se mentir. J'ai sauté sur l'occasion, ça pouvait être intéressant sportivement. Je n'avais pas forcément d'attaches avec le Bénin, je n'y étais jamais allé avant la sélection, au final, ça a été le kif. Au début, c'était un changement, l'Afrique, etc. Mais, au final, c'était top. Je suis resté onze ans en sélection, c'était extraordinaire.
 
Quels changements avaient pu vous marquer en Afrique ?
Il n'y en a pas un en particulier, mais j'ai souvenir d'avoir fait le trajet Bénin-Ghana en bus. Tu t'arrêtes à la douane pendant vingt-cinq ans, tu ne sais pas pourquoi. Des fois, tu es dans des hôtels, tu reviens de l'entraînement, tu n'as pas d'eau. Ces trucs-là qui font que, parfois, sur place, c'est chiant. Mais tu y retournes toujours parce que c'est trop enrichissant.
 
Que signifiait la CAN pour vous, jeune joueur à l'époque ?
C'est vrai un truc de ouf. Une compétition internationale où tu vas rencontrer des grands joueurs, tu vas te frotter à eux. A l'époque, il n'y avait que seize équipes. C'était une compétition assez select, même si, vu d'Europe, c'est un niveau assez faible, pour moi, c'était une opportunité de dingue. Quand on y est, les stades, l'organisation, tu es dans une vraie compétition ! Tu joues contre le Nigeria de (Peter) Odemwingie... J'avais les yeux grands ouverts ! C'était trop bien. C'était ce pourquoi on fait du foot.

«L'Afrique, tu y retournes toujours parce que c'est trop enrichissant.»

«Braga, Nuno Gomes, Hugo Viana, je franchis vraiment un cap»

Le jour où vous signez au Portugal, à Braga.
Là aussi, c'était un moment incroyable parce que je ne m'y attendais pas. Je suis à Châteauroux, en fin de contrat. Fernando Couto, qui travaillait pour Braga, vient me voir à plusieurs reprises. Des rumeurs sortent dans la presse. Je suis un joueur de Ligue 2 et, même si je joue régulièrement, je ne suis pas spécialement titulaire (14 titularisations pour 28 apparitions en 2010-11). Je me fais vanner : "Vas-y, jamais tu vas aller là-bas. Tu as des bons copains dans la presse." Je ne dis rien, mais je sais que c'est vrai ! Je signe au mois de mars, même si ça ne se sait pas à l'époque. C'est mon premier vrai gros contrat. Jusque-là, je gagnais 2000 euros. Et là, quand je signe à Braga, je mesure l'ampleur de ce que je suis en train de devenir, entre guillemets. Le club joue la finale de la Ligue Europa (Défaite 0-1 face à Porto), ils ont des joueurs internationaux portugais, je franchis vraiment un cap. Je suis au max !
 
A-t-on les yeux ébahis quand on regarde le contrat ?
Ouais, ouais, franchement. C'était un truc de ouf. Ce n'était pas une fin en soi : j'étais plus content pour le club que pour l'argent. Pour moi, à l'époque, c'était trop bien. J'ai pu me faire plaisir. Là-bas, je me suis pris une belle maison. Je suis avec des Nuno Gomes, Hugo Viana, Quim... Je commence la saison comme titulaire, mais je ne joue pas beaucoup (3 matches de Championnat), je connais deux blessures successives. Je reviens en février ou en mars, l'équipe est première du Championnat, en seizièmes de finale de Ligue Europa, l'équipe tourne et c'est mort pour moi. Le coach, c'était (Leonardo) Jardim. Il part, et le nouveau me fait comprendre qu'il ne compte pas sur moi. J'aurais aimé rester plus longtemps, non seulement pour le club, parce que c'était la première fois de ma vie que je jouais dans une équipe où tu as tout le temps le ballon. En France, à Gueugnon ou Châteauroux, on me disait : "Manu, tu es latéral, tu joues trop haut." Quand j'arrive au Portugal, on me dit tout le temps que je joue trop bas (il sourit). Je pétais les plombs ! Mais j'avais vraiment les moyens de m'éclater là-bas. En plus, le cadre de vie est top. C'était trop bien.

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-Emmanuel Imorou, ancien joueur de Caen prêté au Cercle Bruges : «Neymar, j'aurais été content de l'affronter»

Le jour où vous disputez votre seul et unique match de Ligue Europa.
Franchement, un truc de ouf (18 août 2011, tour préliminaire pour la Ligue Europa, face aux Young Boys Berne, 0-0). A ce moment, quand je rentre sur le terrain, je me dis : "Ça y est. Quoiqu'il arrive, j'ai joué la Coupe d'Europe." Quand j'étais petit, je tapais le ballon avec mes potes en bas de chez moi et là je joue la Coupe d'Europe ! Je ne vis pas ça en tant que footballeur qui vit son métier en se disant que c'est normal, je le vis comme un gamin. C'est le seul match que j'ai joué, mais ça reste une fierté. J'ai vécu l'aventure de l'intérieur (avec Imorou sur le banc, Braga va jusqu'en seizièmes de finale, éliminé par le Besiktas), ça reste un putain de souvenir. Le Besiktas, c'est la meilleure ambiance que j'ai vu de ma vie.»
 
Le jour où vous marquez votre premier but en pro.
J'avais marqué avec Gueugnon, mais c'était en National. Là, c'est avec Clermont, contre Caen en plus. On est mené 1-0 et j'égalise littéralement à la dernière seconde puisque je marque et l'arbitre siffle la fin. Je n'ai pas marqué beaucoup dans ma carrière, ça reste une émotion qui est hyper forte, ça permet de décrocher un point. On faisait un gros début de saison. Une grosse émotion, un truc que tu as envie de vivre tout le temps. C'est en ça que je comprends les buteurs qui ont faim de but. C'est une drogue en fait. Mais moi, du coup, malheureusement, la drogue, je n'en trouvais pas beaucoup (il rit). Mes deux saisons à Clermont se sont super bien passées, j'en avais besoin en revenant du Portugal. C'est Clermont qui m'a permis de pouvoir signer à Caen et de jouer en Ligue 1.

Imorou, le Clermontois. (VMI/PRESSE SPORTS)

«A ce moment, quand je rentre sur le terrain, je me dis : "Ça y est. Quoiqu'il arrive, j'ai joué la Coupe d'Europe." Quand j'étais petit, je tapais le ballon avec mes potes en bas de chez moi et là je joue la Coupe d'Europe !»

Le jour où il vit sa meilleure période de footballeur.
Les six premiers mois de l'année 2015. A la trêve, on est derniers (avec Caen). A ce moment-là, on sait qu'on va descendre. On fait une deuxième partie de saison incroyable avec sept ou huit matches sans défaite, on bat l'OM au Vélodrome après avoir été menés 2-0, on fait match nul au Parc après avoir été menés 2-0, on bat Lyon 3-0 alors qu'ils jouent pour le titre... C'est la meilleure époque de ma carrière. Je joue tous les matches sur la phase retour. Au-delà de ça, quand j'arrive à Caen, je rencontre des gens : Rémy Vercoutre, Julien Féret, je les regardais à la télé et je découvre leur partie humaine, que ce sont des putains de bons mecs. Je me fais d'autres amis, avec Jordan Adéoti, Dennis Appiah, Damien Da Silva, on est quasiment tout le temps ensemble. Encore aujourd'hui, on est en contact quasiment tous les jours. C'est une époque qui est extraordinaire, qui m'a beaucoup apporté sur le plan sportif et encore plus sur le plan humain.
 
Souvent, quand les footballeurs expliquent qu'ils sont proches de certains coéquipiers, mais qu'il n'y a, au final, que peu d'amis dans le foot. Vous, ce n'était pas ça ?
Franchement, pour le coup, ce n'est pas une phrase avec laquelle je suis d'accord. Evidemment, ça dépend des gens. Ces trois-là (Adéoti, Appiah, Da Silva), je sais que je peux compter sur eux, Romain Grange à Châteauroux, je sais que je peux compter sur lui. J'en ai d'autres avec qui je sais qu'ils ne me feront pas de coups. On n'est pas en contact forcément tous les jours, mais ça reste des mecs fiables, sur qui tu peux compter et qui sont là si tu as une galère. C'est dur parce que c'est un monde qui est ultra concurrentiel, mais il faut aussi savoir distinguer le pro du perso.
 
Le jour où vous avez fait votre plus grosse boulette.
(Il sourit) Facile ! Bien évidemment, c'est le csc à Monaco (22 novembre 2014, 2-2). On m'a souvent vanné comme celui qui met des csc, mais c'est le seul que j'ai mis de ma vie. Bon, j'avoue, pour le coup, il est vraiment pas mal. En plus, cette saison-là, on subit énormément de penalties. Et je n'ai jamais été impliqué, je n'ai pas fait de grosses fautes, à part celle-là. Quand on m'a vanné là-dessus, je ne l'ai jamais mal pris parce que ce sont des choses qui arrivent, on y est forcément confrontés à un moment ou à un autre, surtout comme défenseur. Mais plus généralement, je n'ai pas fait de grosses erreurs qui ont vraiment coûté des points à mes équipes.

«Jouer en Ligue 1, c'était impensable !»

Le jour où vous rejoignez Caen en Ligue 1.
Pour être très honnête, le contexte est compliqué. En partant de Clermont, je voulais aller en Ligue 1. Je me sépare de mon agent, qui, à ce moment, se comporte très mal. Il me fait des menaces verbales, écrites. Caen passe vers moi en direct, je leur explique la situation. Mon fils vient de naître, il est prématuré. Ça fait deux ou trois semaines qu'il est à l'hôpital. Je ne suis pas dans un bon mood. La signature se fait, je suis super content. Par la suite, mon ancien agent fait un procès contre moi, que je gagne. Mais, du coup, il y avait ce petit truc qui m'empêchait de jubiler totalement.
 
Un mélange d'émotions bien différentes...
Voilà. Mais, en soi, sur un pur plan sportif, j'étais au max : pour moi, c'était presque un aboutissement d'arriver en Ligue 1. Je ne dis pas que je savais que j'allais être titulaire indiscutable, mais je savais que j'allais avoir ma chance. Pour ça, c'était le feu. Moi, jouer en Ligue 1, c'était impensable ! Par rapport à mon enfance : je ne me suis jamais projeté en me disant : "Moi, c'est sûr, je vais être footballeur professionnel." Je n'ai jamais été comme ça, je n'ai jamais été éduqué comme ça. Je n'avais pas forcément le talent. Donc arriver en Ligue 1 était un aboutissement par rapport aux efforts que j'avais fait, au fait de rester toujours sérieux, d'écouter les consignes et les conseils. C'était une belle récompense. Quand j'étais jeune, mon rêve était d'être footballeur professionnel. Mais c'était un rêve, comme d'autres disent être astronaute ou de vouloir voler. Tu sais que ça n'arrivera pas ! Moi, c'était ça. J'avais des objectifs plus concrets, avoir un métier qui me plaît, gagner assez bien ma vie, avoir une belle maison. Des trucs que je visais par les études et par un travail, entre guillemets, normal. Le foot, j'ai saisi l'opportunité. Quand je signe à Châteauroux, au centre de formation, à 16 ans, j'y vais parce que je sais que je vais le regretter si je n'y vais pas. Mais, quand j'y vais et que j'arrive, le premier jour, je me dis que les autres sont cent fois meilleurs que moi, je me demande ce que je fais là.

Adéoti, Imorou, Da Silva : coéquipiers, et bien plus encore. (B.Papon/L'Equipe)

«Le csc à Monaco, j'avoue, pour le coup, il est vraiment pas mal.»

Le jour où cela a été dur d'accepter de moins jouer petit à petit en Ligue 1.
A partir de 2016. Je me blesse énormément lors de la saison 2015-16. Je sombre dans un truc où j'ai l'impression que je vais me blesser dès que je fais un truc. Ce qui n'était pas loin d'être le cas. Ça devient dur. La saison suivante, je commence à jouer, je me blesse assez rapidement. Je ne joue plus, je passe plus de six mois sur le banc. Pour le coup, c'est dur. Tu restes un compétiteur, donc c'est terriblement frustrant. Avec le coach, cela ne se passait plus très bien. C'est quelque chose qui m'a aussi forgé, ça a été le début de ma régression sportive. Une carrière n'est jamais toute rose...
 
Etait-ce plus facile à accepter pour vous qu'un autre puisque vous saviez d'où vous veniez ?
Non, je ne pense pas. A ce moment, je suis vraiment dans le truc où je ne suis pas heureux. Oui, à la base, je suis censé être heureux d'être là, mais pour m'épanouir, malgré tout, dans le foot, il faut que je joue. Beaucoup de gens n'arrivent pas à le comprendre : demain, n'importe quel joueur, qu'il soit au Real, à Chelsea, à Caen, à Dijon ou à Gueugnon, s'il ne joue pas, il n'est pas heureux. Parce que, par définition, jouer, c'est l'essence même d'un joueur. Quand tu ne joues pas, tu as beau être dans le plus grand club du monde, gagner je ne sais pas combien, tu n'es pas épanoui. En tout cas, c'est rare ceux qui le sont.
 
Est-on différent dans ce genre de périodes ?
A l'entraînement, tu ne prends pas de plaisir. Nous, dès le premier entraînement, on savait déjà l'équipe qui allait jouer le week-end. Tu sais que tu vas passer une semaine de merde parce que tu sais que tu ne vas pas jouer. C'est dur de s'impliquer en sachant ça. Tu te poses des questions, il faut essayer de rebondir. Ce n'est pas évident. Mais, oui, tu relativises parce que tu as ci ou ça qui te permet de te raccrocher à autre chose mais niveau foot, c'était sûrement la pire période de ma carrière.

Le jour où il s'est lancé sur Twitter.
C'était il y a longtemps ! Vers 2009-2010. Je m'y suis vraiment lancé à Braga. Un pote m'avait dit : "Tu devrais y aller un peu plus souvent, c'est terrible." Ce n'est pas le même Twitter que maintenant. Je me permettais de dire des choses que je n'aurais jamais pu dire plus tard en parlant de ma vie privée, d'émissions télé, vanner des gens, des personnalités, même s'il n'y avait pas de mauvaise intention. Je m'en servais comme tout le monde. Sauf que c'était la mode de ressortir des anciens tweets. A un moment, ça a posé beaucoup de problèmes parce que les tweets des joueurs du PSG sont ressortis (En 2015, plusieurs jeunes parisiens ont vu d'anciens tweets être republiés, provoquant la polémique). Donc j'ai supprimé mon compte, j'en ai fait un nouveau et je faisais plus attention même si j'avais une certaine liberté de ton. Twitter m'a aidé à ce que la plupart des gens ait, je pense, une bonne image de moi et me voit comme un mec cool et sympa. Twitter, ça m'a permis de rencontrer des gens, certains sont devenus des potes. Quand c'est dans un bon mood, que c'est bienveillant, franchement c'est trop bien.
 
Le jour où vous avez décidé de prendre votre retraite.
Ça a été une réflexion menée sur quelques semaines. Je voulais vraiment finir à Thonon (son dernier club) et faire ma reconversion dans le club comme c'était plus ou moins prévu. Les choses ont fait que, pour moi, le projet ne correspond plus à ce qu'on m'avait vendu en arrivant. Quand je suis arrivé, on était dans un fonctionnement de club pro, et ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'ai avancé ma réflexion. Le seul truc qui m'a évidemment fait énormément douter, c'est la sélection. Il y a possiblement une Coupe d'Afrique qui arrive, les éliminatoires pour la Coupe du monde... Ça m'a longuement fait réfléchir. Mais j'ai bien conscience qu'après deux années à jouer en R1 et N3, et une dernière année beaucoup tronquée avec le covid, c'est quasiment impossible de retrouver un projet qui me plaît et qui, sportivement, est intéressant. On m'avait approché l'été dernier pour aller en National, mais je n'étais pas plus intéressé que ça. Donc j'ai pris la décision.

«Les critiques, on essaie tous de faire croire que ça ne nous touche pas»

Bon, en tout cas, belle lucarne...
Ouais, franchement, elle est pas évidente à mettre (il rit).
 
En parlant de critique, y en a-t-il eu qui ont pu vous blesser ?
Oui, oui. Il n'y en a pas une qui vient car, forcément, il y en a beaucoup. Quand tu es titulaire dans un club qui est dernier, tu te fais vanner tous les jours. Ça fait partie du jeu et on essaie tous de faire croire que ça ne nous touche pas. Mais, d'une façon ou d'autre autre, ça nous atteint. Il faut prendre du recul et ne pas sombrer dans le truc où tu vas répondre, insulter... Ça aide aussi, parce que ça te construit, ça te forge. Je ne vais pas dire qu'il y a du bien là-dedans, mais il faut réussir à en tirer du positif. Au final, on finit 13e et je suis sûr que la plupart aurait été capable de me demander mon maillot. C'est la culture de l'instant.
 
Le jour où vous avez pris votre seul et unique carton rouge en Ligue 1.
A Rennes (1-1, le 11 décembre 2015). Je suis au duel, je crois, avec (Giovanni) Sio. Je me fais un peu arnaquer quand même. Il y a une passe en profondeur, je pense que je suis un peu mal placé parce qu'elle passe dans mon dos. Je l'accroche un peu en me retournant. On tombe tous les deux. Comme il partait au but, je prends rouge. J'étais aussi dégoûté parce qu'on recevait Paris le match d'après et plein de potes avaient pris des places (il sourit), du coup j'ai regardé le match en tribune. Limite, j'étais plus dégouté pour eux que pour moi.

«Beaucoup de gens n'arrivent pas à le comprendre : demain, n'importe quel joueur, qu'il soit au Real, à Chelsea, à Caen, à Dijon ou à Gueugnon, s'il ne joue pas, il n'est pas heureux. Parce que, par définition, jouer, c'est l'essence même d'un joueur.»

«Maroc-Bénin ? J'en ai pleuré comme un fragile»

Le jour où vous avez compris que l'aspect mental devait être davantage pris en compte dans le foot.
Ça vient de cette époque-là justement où j'avais tout le temps peur de me blesser. J'ai contacté Raphaël Homat, un préparateur mental, qui est devenu un pote. Il travaillait avec Dennis Appiah. C'est une période qui m'a fait du bien parce que j'ai réellement progressé sur comment m'entraîner à fond sans avoir peur. C'est moins vrai dans les sports individuels où il y en a beaucoup qui s'entourent de préparateurs, mais, dans le foot ou un sport collectif, c'est moins bien vu parce que tu as tendance à passer pour un faible. La plupart voit ça comme un psy, entre guillemets. Tout se travaille, et le mental aussi. C'est le cerveau qui fait tout, qui régule tout. Malgré tout, on n'est pas formés à ça, c'est quelque chose qui n'est pas encore assez développé dans le foot. Ça peut aider des joueurs pour tout et n'importe quoi, quand tu as un manque de confiance en toi ou, au contraire, quand tu as trop confiance en toi... Tu ne t'exprimes de la même façon lorsque tu es avec toute ton équipe et quand tu es toi, seul, face à un mec et où tu sais que tu peux échanger de façon libre, sans jugement. Ça commence à venir un peu mais les clubs n'abordent pas ce problème de la même façon. C'est timide.
 
Le jour où le Bénin élimine le Maroc à la surprise générale lors de la Coupe d'Afrique des nations 2019.
C'est une de mes plus fortes émotions. D'ailleurs, j'en ai pleuré comme un fragile (il rit). Etre en huitièmes de finale, c'était déjà ouf. On était les derniers à avoir joué en poules et les premiers à jouer en huitièmes de finale. On a eu que deux jours et un seul entraînement, en plus du voyage. Outre le fait que le Maroc était favori pour le titre, il y avait tout pour qu'on se fasse gifler. On subit énormément, mais on est costauds et solidaires. On mène, on se fait reprendre, on prend un rouge durant la prolongation et ensuite, il y a les penalties où certains jeunes ont porté leurs c******s comme on dit. Au final, on gagne... Je n'ai pas de mots pour décrire, c'était vraiment trop bien.
 

«Le seul truc qui m'a évidemment fait énormément douter, c'est la sélection. Il y a possiblement une Coupe d'Afrique qui arrive, les éliminatoires pour la Coupe du monde... Ça m'a longuement fait réfléchir.»

«Intégrer la cellule communication d'un club»

Vous êtes-vous rapidement rendu compte que cela va vite dans les deux sens, c'est-à-dire que le monde du foot oublie très vite aussi ?
Je l'ai très vite assimilé, et ça ne me pose aucun problème. C'est normal ! Après la CAN, quand je ne trouve pas de club, je ne suis pas du tout dans un truc où j'en veux à la terre entière. Je pense avoir le niveau pour être au moins en Ligue 2, mais je comprends aussi les impératifs économiques des clubs. Ce qu'on m'a souvent dit, c'est que les clubs cherchaient à mon poste des jeunes pour pouvoir les revendre. J'ai aussi ma fierté, et je n'étais pas prêt à aller dans un club pour gagner le salaire d'un joueur qui débute. C'est aussi de ma faute, mais j'assume. Je n'étais pas prêt à tout. C'est la loi du foot, je n'ai aucun problème avec ça.
 
Le jour où vous serez salarié du SM Caen.
(Il rit) Je n'en sais rien ! Avec Châteauroux, c'est sûrement le club avec lequel j'ai le plus d'affinités. Châteauroux parce que je suis de la région (il est né à Bourges) et que je suis formé là-bas ; Caen parce que j'y ai passé mes plus belles années et dans le club et dans la ville. C'est un club pour lequel j'ai beaucoup de reconnaissance. Pourquoi pas !
 
Quels sont vos désirs d'avenir professionnel ?
Je veux rester dans le foot. Mais pas pour être coach ou directeur sportif. En ce moment, je suis une formation pour travailler dans la communication digitale. Je pense être diplômé d'ici un mois, pour un niveau bac+4. C'est quelque chose que je prépare depuis un an et demi. Un nouveau challenge pour moi. J'aimerais bien intégrer la cellule communication d'un club. Le monde du foot me plaît et associer ça avec un autre truc que je kiffe, ça peut être vraiment tout bénef'.»

Timothé Crépin