Comme lors du match amical contre Dijon (1-0, le 15 août), près de 5 000 spectateurs assisteront masqués au premier match à domicile de Lens cette saison. (Maillard/Maxppp)

Ligue 1 : Comment les supporters et les ultras ont vécu l'année 2020

Mis à l'écart par la pandémie de Covid-19, les supporters et les ultras doivent en ce moment vivre leur passion du ballon rond loin des tribunes. Pour FF, certains d'entre eux reviennent sur cette année si spéciale.

2020 en est à son crépuscule et il est temps de regarder dans le rétroviseur d’une année si particulière. Pour les passionnés de football, les douze derniers mois resteront à tout jamais gravés dans les mémoires tant ils auront boulversé les habitudes et changé (irrémédiablement ?) la perception du sport qui pouvait être la leur. Des promesses des premiers mois de compétition à l’amertume qui guette ses dernières gorgées, la cuvée qui vient d’être servie laisse un arrière-goût désagréable en bouche. Comme l’impression que l’on n’arrivera jamais vraiment à digérer ce qui devait être un cru exceptionnel. Un Euro, des joutes internationales et des clubs qui devaient nous faire vibrer, tout cela a été emporté par un raz de marée surnommé Covid. Inévitablement, les vagues sont venues arracher au ballon rond ce qu’il avait de plus précieux, ses supporters. Eux, qui résistent pourtant à toutes les tempêtes, ont vu leur habitat naturel être saccagé devant leurs yeux. Dans ces stades qui bouillonnaient autrefois grâce à leur présence, un silence de cathédrale a pris place et ils n’ont rien pu faire pour y remédier. Obligés de vivre leur passion différemment, FF a sollicité ceux qui font véritablement vivre le football pour nous raconter leur année. 

Tout allait donc très bien jusqu’en mars. Des stades pleins, des compétitions européennes qui débutaient leurs phases à élimination directe, les supporters avaient de quoi être heureux. Et puis, ce qui n’était qu’un écho lointain est violemment arrivé à leurs oreilles. En France, le couperet est d’abord tombé le 10 mars par un communiqué de la Ligue de football professionnel. Des huis clos dans toutes les enceintes des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 jusqu’au 15 avril pour répondre à l’avancée du Covid-19 sur le territoire. Une simple mise en bouche par rapport à ce qui allait arriver par la suite. Suspendues jusque-là, les compétitions étaient définitivement arrêtées le 30 avril par la LFP. Si la décision a été comprise par la plupart, elle n’en a pas été pour le moins brutale. «On a perdu tous nos repères, lance Xavier Schmitt, président de Génération Grenat 95, un des groupes encourageant le FC Metz. Que ce soit vis à vis de l’équipe, du club et surtout de ses amis du groupe ultra, nos repères n’étaient plus là. En 25 ans, Génération Grenat ne s’est jamais arrêté. C’était une première. On ne pouvait plus aller au local, tout ce qui était prévu est tombé à l’eau.» 

«Psychologiquement c'est difficile, on doit réapprendre à vivre sans cela après 25 ou 30 ans de supportérisme»

Après cette décision de la LFP s’en sont donc suivis de long mois où ces passionnés, qui avancent habituellement avec le football à leurs côtés, ont découvert un nouveau quotidien. «Le samedi ou le dimanche, on savait qu’on allait retrouver ses potes et évacuer toute cette pression que l’on accumulait la semaine au travail. Psychologiquement c’est difficile, on doit réapprendre à vivre sans cela après 25 ou 30 ans de supportérisme. Les week-ends en famille, on redécouvre et c’est sympathique. Mais le football reste dans nos têtes et c’est un réel manque» détaille Xavier Schmitt.

«Familles» séparées

L’ambiance, les trajets en voitures, la mise en place de tifos, tout ce que qui rythmait la vie des supporters n’est plus vraiment possible. A Lens, Jean-Christophe Demarey, président des Bollaert Boys et plus connu sous le surnom de "Senec" dans le Nord, a vu son équipe du Racing remonter en Ligue 1 sans pouvoir le fêter. Un moment attendu depuis près de cinq ans par les fans des Sang et Or. «On a savouré l’évènement mais il manquait quelque chose. Tout le monde voulait être ensemble, faire la fête pour la remontée et remercier les joueurs. C’est regrettable de ne pas l’avoir fait mais on comprend. C’est la santé avant tout.»  

Comme tous les stades français, le stade Bollaert-Delelis est bien triste depuis des mois. (F. Faugère/L’Équipe)

Véritables familles que l’on a séparés pendant de long mois, ces groupes de supporters ont eux aussi été endeuillés durant la période. Chez les Bollaert Boys, deux membres sont décédés pendant le premier confinement. Deux frères d’armes dont les membres du groupe n’ont pu saluer la mémoire que tardivement. «L’un d’entre eux était un pilier pour nous, explique Jean-Christophe Demarey. On ne s’est rendu collectivement sur sa tombe qu’en aout pour lui rendre hommage. Cela fait tard. Avant cela, on avait brûlé des bougies à distance, pris des photos que l’on envoyait à la famille pour dire qu’on pensait à lui.» Autant d’attentions qui ont resserrés des liens déjà très forts entre tous ceux qui forment le groupe. 

Garder le contact

Maintenir le lien, tel a été le véritable enjeu pour ces supporters habitués à se retrouver régulièrement dans les tribunes. Mais cela est loin d’être facile, même à l’heure des réseaux sociaux. «Quand il ne se passe rien en tribunes, l’actualité de l’association n’est forcément pas très développée, admet Daniel De Almeida, président du Kop Ciel et Blanc, l’un des groupes supportant le RC Strasbourg. Il ne se passe pas grand chose, l’activité est pratiquement stoppée et on ne peut pas se regrouper pour regarder les matches, même dans un bar. On vit tout ça depuis chez soi, il n’y a plus vraiment de partage.»

«Il y a eu des collectes de jouets pour les hôpitaux ou pour les services accueillant des jeunes porteurs de handicap. Cela a permis aux personnes de garder le contact»

Pour les Bollaert Boys, les différentes opérations caritatives que mènent le groupe ont permis à ceux qui le composent de quelque peu se retrouver. «Depuis plusieurs années, on mène des actions pour le Téléthon, indique Jean-Christophe Demarey. Il y a aussi eu des collectes de jouets pour les hôpitaux ou pour les services accueillant des jeunes porteurs de handicap. Cela a permis aux personnes de garder le contact, que ce soit par un appel en visio ou des conversations par messages.» Loin du ballon rond, le lien s’est donc entretenu, permettant à beaucoup de tenir le coup. Plus que d’encourager le club, la mission de ces groupes de supporters est aussi d’ordre social.

Impuissance

Après ces long mois sans football dans l’Hexagone, les compétitions professionnelles ont  enfin fait leur retour au mois d’aout. Mais le sentiment qu’a apporté cette reprise chez les supporters est mitigé. S’ils ont été contents de revoir leurs clubs de coeur, la jauge de 5000 spectateurs fixée dans un premier temps a vite refroidi les ardeurs de ces passionnés. Quand certains groupes comme Génération Grenat 95 ont choisi de ne pas être présents au stade car tout le monde ne pouvait pas participer, d’autres ont pu goûter à cette atmosphère insipide. C’est le cas de Daniel De Almeida et du Kop Ciel et Blanc. «Les premiers matches à 5000, l’ambiance était morose dans le stade et le club a tout fait pour que l’on revienne dans de bonnes conditions. Sur les deux, trois matches auxquels on a participé, cela allait mieux mais ce n’était pas non plus la folie et tout a vite été stoppé par la suite des évènements.»

Plus que l’atmosphère, c’est l’impression de ne pas apporter un plus qui a gêné le supporter du Racing Club de Strasbourg, ce fameux supplément d’âme qui permet à son équipe de se transcender et d’aller chercher des points décisifs. «Avec les masques, les sièges d’écart, c’est compliqué de mettre de l’ambiance. On partait en groupe, on était heureux de se retrouver mais on s’est rendu compte que ce n’était pas la même chose. On était présents physiquement, mais on n’avait pas l’impression d’apporter grand chose à l’équipe, ou d’influencer le cours de la rencontre.»

«Avec les masques, les sièges d'écart, c'est compliqué de mettre de l'ambiance. On partait en groupe, on était heureux de se retrouver mais on s'est rendu compte que ce n'était pas la même chose.»

Pas la même saveur

Un éloignement que le huis clos, de retour dès octobre, est venu renforcer. Loin de leur terrain d’expression habituel que sont les tribunes, les supporters ne peuvent réellement participer au brin d’histoire qui s’écrit pourtant devant eux. Chez Génération Grenat 95, un courrier a été écrit aux dirigeants afin qu’ils le lisent devant les joueurs du FC Metz avant la rencontre face à Strasbourg le 13 décembre dernier (2-2). Un moyen de s’exprimer et de garder un lien avec l’effectif que Xavier Schmitt aimerait répéter. «On est en relation avec le club pour trouver des opérations à réaliser. Pour Metz, c’est peut-être la meilleure saison depuis 2000 et on a envie de fêter cette équipe et ces joueurs comme il se doit. Ça nous embête forcément de rater cela.» Obligés de regarder les rencontres à la télévision, certains se sont même lassés, l’adrénaline des gradins leur manquant terriblement. «On en vient presque à s’éloigner du football, assume Florian Brunet, porte-parole des Ultramarines 1987, groupe supportant les Girondins de Bordeaux. Ce football sans supporters que l’on voit à la TV est une caricature. C’est un autre jeu, un autre sport. On a du mal à prendre du plaisir en regardant un match.»

Florian Brunet, porte-parole des Ultramarines bordelais, est assez pessimiste.

Un moment finalement bénéfique ?

Cette absence des supporters dans les stades aura au moins eu le mérite de confirmer une chose. Leur présence est vitale à un sport populaire qui ne peut exister et perdurer que par leur biais. «Cela ne nous sautait pas aux yeux avant mais les supporters sont aussi important que l’équipe, enchaine Florian Brunet. Aujourd’hui, on le remarque plus facilement et leur place dans le football de demain doit être centrale. Le sport doit être beaucoup plus proche de son public à l’avenir». «Les groupes ultras ont été tellement dénigrés par certains depuis quelques années, mais on s’aperçoit maintenant de leur importance, relance Xavier Schmitt. L’ambiance qu’ils peuvent mettre, les tifos qu’ils créent, cela participe au spectacle qu’est le football. En regardant davantage le terrain que les tribunes, on prend également conscience du faible niveau du football français. C’est un point à travailler, et s’ajoute le fait que l’on a privilégié la TV aux supporters. En mettant les rencontres à 15h le dimanche, on n’a pas tenu compte des ultras et on s’aperçoit de cela maintenant.» 

«Il faut que le retour (du public) apporte quelque chose. Avoir des supporters amorphes, ça ne sera pas bénéfique à l'équipe»

Avec l’espoir d’une évolution dans leur sens, c’est de pied ferme que supporters et ultras attendent leur retour dans les stades. «On a hâte de réintégrer notre tribune» s’enthousiasme Xavier Schmitt. «Il faut que le retour apporte quelque chose, lui répond Daniel De Almeida. Avoir des supporters amorphes, ça ne sera pas bénéfique à l’équipe.» Ne s’annonçant pas franchement comme plus enthousiasmante, l’année 2021 n’en restera pas moins charnière pour le football. Devant un désintérêt grandissant et un spectacle impacté par le manque des fans, l’enjeu est grand et le retour de ces derniers est attendu avec impatience.

Benoît Desaint

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