(L'Equipe)

«On a appris notre montée sur Zoom en plein confinement» : Mathieu Baudry, dix saisons en Angleterre, raconte son aventure dans les divisions inférieures

Exilé depuis une décennie en Angleterre, Mathieu Baudry évolue sous les couleurs de Swindon Town en troisième division anglaise après avoir pas mal voyagé à travers le pays. Pour FF, le défenseur central de 33 ans revient sur son parcours, l'évolution du foot anglais et la passion des fans. (Photo : Swindon FC)

«Après avoir été formé au Havre et rejoint Troyes, vous quittez la France en janvier 2011 pour rejoindre Bournemouth en Angleterre. Pourquoi ce choix ?
J'ai toujours été attiré par le championnat anglais. Un an et demi avant de rejoindre Bournemouth, alors que je joue avec Troyes en National, j'ai eu l'opportunité d'aller faire un essai à Leeds. J'ai été séduit. Leeds était un gros club et j'ai pu faire un match de préparation avec eux contre Grimsby. Le stade était à guichets fermés. Derrière, même si je n'ai pas pu jouer, je suis allé voir un autre match de préparation à Elland Road (NDRL : le stade de Leeds) et pareil, les tribunes étaient pleines. Ça m'a impressionné. Mon objectif était de retourner en Angleterre par la suite. D'autant qu'à mon retour à Troyes, la relation entre moi et le club était un peu cassée car Leeds voulait me faire signer, mais les dirigeants de Troyes avaient bloqué le transfert à l'époque. J'ai finalement résilié mon contrat en janvier 2011 après avoir passé la première partie de saison en dehors du groupe et j'ai rejoint Bournemouth en League One (D3 anglaise).

Vous connaissiez Bournemouth avant d'arriver en Angleterre ?
Non, mais j'étais en lien étroit avec un agent anglais qui m'avait expliqué que ce club progressait et qu'il y avait un jeune entraîneur à sa tête, Eddie Howe. Ils venaient de monter en League One et jouaient déjà le haut du tableau. En plus, c'était une ville plutôt agréable. Il fallait que je tente ma chance. Je n'avais plus rien à perdre car Troyes m'avait laissé partir. C'était l'Angleterre ou me faire prêter en National. J'ai choisi la première option. Personnellement, c'était le bon moment pour moi de partir à l'étranger. Je voulais voir quelque chose de nouveau.

«A Leyton Orient, on avait un groupe extraordinaire».

Là-bas, vous ne disputez qu'une dizaine de rencontres en un an et demi. Comment avez-vous géré ce manque de temps de jeu ?
Quand je suis arrivé à Bournemouth, Eddie Howe est parti quelques semaines après à Burnley. Le club a nommé ensuite un ancien joueur avec qui je jouais, Lee Bradbury. On s'entendait bien et il me disait que j'allais jouer et qu'il comptait sur moi. Mais l'équipe marchait bien. Il y avait deux défenseurs centraux qui jouaient tous les matches. J'ai été aligné une seule fois titulaire durant la deuxième partie du championnat, c'était à Exeter car l'un des deux défenseurs était absent. Sinon, ils n'ont rien manqué. Je me retrouvais donc sur le banc à chaque match. Le coach ne voulait rien changer car on jouait les play-offs et quand une équipe tourne bien, tu ne prends aucun risque. Lors de la demi-finale retour des play-offs de League One contre Huddersfield, je suis rentré car l'un des deux défenseurs centraux s'est fait expulser durant les prolongations. On perd le match aux tirs au but. Si on s'était qualifiés, j'aurais joué la finale des play-offs à Old Trafford... Durant l'intersaison, l'un des deux défenseurs centraux a quitté le club et j'ai pris la suite logique. J'ai débuté la saison titulaire en charnière, mais je me suis blessé. Bilan, six mois d'arrêt. À mon retour en mars, le coach m'a dit de partir en prêt pour reprendre le rythme. À l'époque, car ce n'est plus le cas aujourd'hui, tu pouvais être prêté un mois dans des clubs. C'est ce qui s'est passé de mon côté. Je suis allé à Dagenham & Redbridge en League Two et j'ai disputé une dizaine de rencontres. Quand je suis revenu à Bournemouth, le coach avait été viré pendant mon prêt, et celui qui est arrivé ne comptait plus sur moi. J'ai préféré quitter le club.

En 2012, vous débarquez à Leyton Orient, un des nombreux clubs londoniens où vous allez passer quatre saisons. Quel souvenir gardez-vous de votre passage là-bas?
J'ai passé mes meilleurs moments là-bas. C'était un club familial. On avait un groupe extraordinaire. Cela nous a permis de faire des performances remarquables en étant dans la peau de l'outsider. Lors de ma première saison, on a terminé aux portes des play-offs de League One. La saison suivante, on a poursuivi sur notre lancée. On a joué la montée en Championship toute la saison, en étant leader du championnat pendant plusieurs journées. On a craqué sur la fin, mais on a joué les play-offs. On arrive jusqu'en finale face à Rotherham et on perd le match aux pénaltys. Puis, les deux dernières saisons, cela a été plus difficile. Le président a vendu le club à un Italien et c'était un peu spécial. Il n'était pas très clair. Il faisait des choses bizarres. Je me souviens qu'après un match perdu à l'extérieur, sur le chemin du retour, il nous avait dit qu'on ne rentrait pas chez nous et qu'on allait dormir à l'hôtel... Il a également nommé un entraîneur italien qui ne parlait pas anglais. Il se faisait traduire par notre ancien coach que le président avait viré, mais qui était resté pour justement devenir le traducteur du nouvel entraîneur car il était aussi italien... Hormis les deux dernières saisons où ça s'est moins bien passé, je ne garde que des bons souvenirs de mon passage là-bas. J'ai beaucoup d'attachement pour ce club. J'ai même été capitaine lors de ma dernière saison à Londres. C'était une fierté pour moi. Aujourd'hui, j'ai encore des liens avec plusieurs supporters.

Brisbane Road, l'ancien jardin de Mathieu Baudry. (Mark Leech/OFFSIDE/PRESSE SPOR/PRESSE SPORTS)

Vous êtes parti ensuite à Doncaster et Milton Keynes. Comment se sont passées ces expériences ?
À Doncaster, j'ai loupé deux fois le début de saison à cause de plusieurs blessures. C'est d'ailleurs le fil de ma carrière, je n'ai pas été épargné à ce niveau-là. Ça m'a parfois empêché de m'exprimer pleinement, en France comme en Angleterre. C'est dommage, surtout quand tu t'entends bien avec le coach. Ce qui était le cas à Doncaster. J'avais une excellente relation avec Darren Ferguson (NDRL : le fils de Sir Alex Ferguson). Aujourd'hui encore, cela reste l'un de mes entraîneurs favoris. On est parvenu à monter en League One à l'issue de ma première saison. Et lors de la deuxième saison, on a terminé pas loin des play-offs. Ensuite, je suis parti de Doncaster. J'étais l'un des plus gros salaires du club et il ne pouvait plus forcément me payer. Puis, j'ai signé à MK Dons en League Two, l'un des ex clubs de Dele Alli. Le début d'histoire avec eux est un peu particulier. En plein été, mon agent m'appelle alors que je m'entraîne avec les équipes de jeunes de Bournemouth où j'habite. Quelques heures avant son appel, je me claque le mollet à l'entraînement... Malgré tout, je vais à Milton Keynes et le club me signe. Je loupe les deux premiers matches de championnat à cause de cette blessure. Lors du troisième match, je suis sur le banc et je rentre en fin de rencontre. Cinq minutes après mon entrée, je me fais expulser. Et la semaine suivante, je me blesse à l'entraînement. Je suis absent pendant trois mois. J'ai vécu une saison cauchemardesque sur le plan personnel, même si le club est monté en League One à la fin de saison.

Vous évoluez désormais à Swindon Town depuis 2019 où vous avez eu le plaisir de monter en League One la saison dernière malgré un calendrier tronqué en raison du Covid-19. Ce n'était pas étrange de connaître une accession de cette manière ?
Ce n'est clairement pas la même chose. Et ça rejoignait un peu la montée avec MK Dons en 2019. Il y avait eu des célébrations, mais comme j'avais disputé seulement quelques matches avec le club, il y avait un goût amer. Quand j'ai quitté le club, mon objectif c'était de revivre ce moment-là, mais en ayant réalisé une saison pleine. J'aurais aimé le faire avec Swindon car je pense qu'on avait la meilleure équipe la saison passée et on le montrait en étant en tête du classement avant l'arrêt du championnat. Il commençait à y avoir une ferveur. Le stade était plein, l'ambiance excellente. Finalement, on a appris notre montée sur Zoom en plein confinement, ce n'est pas du tout pareil. Personnellement, j'ai eu la chance de connaître d'autres montées par le passé, de jouer des play-offs. J'ai su prendre du recul. Mais pour des coéquipiers plus jeunes, c'est plus difficile à encaisser. Puis, cette saison, on joue sans les supporters et c'est pesant.

«De toute façon, comme partout, ce sont les résultats sportifs qui priment. Si tu joues bien, mais que les résultats ne sont pas là, on revient vite à l'ancienne méthode.»

Depuis votre arrivée outre-Manche, le niveau des divisions inférieures anglaises a-t-il changé ?
À mon arrivée, il y avait toujours le numéro 9 assez typique des divisions inférieures anglaises : hyper costaud, très physique avec un joueur plus mobile tournant autour de lui. Aujourd'hui, ce poste est presque révolu. Il y a beaucoup de petits attaquants qui sont rapides. On joue également plus au ballon, on relance court depuis le gardien. Certaines équipes sont passées à trois défenseurs. C'est lié à l'arrivée de jeunes entraîneurs qui aime produire du jeu. Même s'il y a encore une génération qui préfère jouer “à l'anglaise” avec de longs ballons vers l'avant et un fort impact physique. De toute façon, comme partout, ce sont les résultats sportifs qui priment. Si tu joues bien, mais que les résultats ne sont pas là, on revient vite à l'ancienne méthode.

On parle beaucoup de la professionnalisation des clubs en Angleterre. Certaines équipes disposent d'infrastructures assez importantes. Avez-vous été surpris par tout cela ?
Quand tu arrives de la France, tu ne t'attends pas à ça. Surtout en troisième ou en quatrième division. Ici, tu as des infrastructures équivalentes à la Ligue 2 chez nous, voire mieux. Et puis, au niveau des supporters, les stades sont toujours remplis. C'est assez exceptionnel.

En Angleterre, comment se traduit la passion des fans ?
Déjà, ils arrivent à remplir les stades chaque week-end, peu importe où tu vas dans le pays. Je me souviens de certains matches pendant les fêtes où on jouait à l'extérieur devant 20 à 30 000 spectateurs. Dans certaines grandes villes, comme Londres par exemple, beaucoup de personnes vont supporter des clubs tels que Leyton Orient, Charlton, Wimbledon et pas forcément les équipes de Premier League. Pareil à Manchester et dans le grand Manchester. Les gens vont supporter leur équipe locale et ne changeront pas, peu importe les résultats. C'est souvent une histoire de famille et la passion se transmet de génération en génération. C'est un monde à part. Une anecdote au sujet des fans ? Avec Leyton Orient, lors d'un match à Swindon justement, des supporters étaient rentrés sur le terrain et voulaient taper notre gardien. C'était franchement improbable.

«Pour l'anecdote, j'ai une bouteille de champagne à la maison qui vient de Troyes. Je me suis toujours promis de l'ouvrir uniquement si je parvenais à jouer en Championship.»

Qu'est-ce que le football anglais vous a apporté ?
C'est un état d'esprit. Les Anglais attendent que tu donnes le meilleur de toi-même à chaque rencontre. Il a fallu que je m'habitue à tout ça. Au début, ça m'a fait un choc, je ne vais pas le cacher. Le rythme ne retombe jamais. Il faut être présent de la première à la dernière minute dans les duels. C'est là où j'ai dû le plus progresser et apprendre à me protéger. Lors de mes premières années, on me bandait quasiment la tête tous les week-ends car les adversaires m'éclataient l'arcade, les pommettes ou le nez. Là, vous ne le voyez pas, mais mon nez est totalement déformé à cause des chocs qu'il a reçu durant ma carrière ici (rires).

Après dix ans en Angleterre, quel bilan tirez-vous de votre carrière ?
Je suis déçu d'avoir eu autant de blessures et de ne pas avoir pu accomplir ce que je voulais accomplir. Sans ses blessures, j'aurais sans doute pu jouer en Championship. Avec Leyton Orient, on l'a manqué aux tirs au but et j'ai moi-même manqué un pénalty. Mais d'un autre côté, il y a beaucoup de fierté d'être parvenu à faire une si belle carrière ici depuis dix ans en étant arrivé par la petite porte et ne connaissant pas les divisions inférieures anglaises. J'ai toujours su rebondir, j'ai connu trois montées, une finale des playoffs à Wembley, marqué à Wolverhampton et Charlton. Chaque année, il s'est passé quelque chose. Je n'ai jamais eu une saison sans ascenseur émotionnel. J'ai aussi été capitaine à Leyton Orient et maintenant à Swindon. Cela veut dire que tu as gagné le respect de tes entraîneurs et de tes partenaires. Forcément, c'est gratifiant. Je vais même être clair, pour rien au monde je ne changerais ma carrière pour une carrière en Ligue 2 ou en National. En plus, j'ai partagé tous ces moments avec ma famille et notamment mon grand-père qui vient malheureusement de disparaître. Il était venu me voir plusieurs fois jouer en Angleterre et lors de la finale des play-offs à Wembley avec Leyton Orient. Je suis heureux qu'il ait pu vivre ce genre de moment.

Qu'aimeriez-vous encore vivre ?
Quand je suis arrivé ici, j'avais un objectif : jouer en Championship. Pour l'anecdote, j'ai une bouteille de champagne à la maison qui vient de Troyes. Je me suis toujours promis de l'ouvrir uniquement si je parvenais à jouer en Championship. Or, ce n'est toujours pas le cas. Ma femme me dit à chaque fois : “Il ne va pas être très bon ce champagne si on continue de le laisser comme tel” (rires). Et puis, si c'est possible, connaître à nouveau une montée. Comme je le disais tout à l'heure, les célébrations de MK Dons m'ont laissé un goût amer et j'aimerais bien vivre une dernière montée avec les fans et mes enfants en ayant joué toute une saison. On n'a pas pu en faire une avec Swindon l'année dernière à cause du Covid. J'espère en revivre au moins une avant la fin de ma carrière.»

Thomas Bernier