(D.R)

Pitso Mosimane : «Jamais un club ne m'a accueilli comme le Ahly du Caire»

Technicien le plus titré cette année en clubs avec cinq titres, dont celui de champion d'Afrique, le coach sud-africain du Ahly a accepté de se dévoiler un peu pour FF, entre deux rencontres avec les diables rouges cairotes.

«Pitso Mosimane, comment se sent-on après avoir remporté la Ligue des champions avec le Ahly du Caire ?
J'avais déjà remporté ce trophée avec mon club précédent, les Mamelodi Sundowns (2016). En Egypte et face à ce même adversaire, le Zamalek. Mais c'était devant les 63 000 spectateurs à Borg El-Arab. Cette fois-ci, c'est différent puisque on l'a réussi dans un stade vide. Pourtant, une fois sur le terrain, on oublie complètement qu'il n'y a pas de public. On est totalement focalisé sur la gestion du match. Je ne sais pas si c'est la même chose pour un Pep Guardiola, un José Mourinho ou un Carlo Ancelotti quand ils lèvent la Ligue des champions européenne. Mais pour moi, remporter le plus grand trophée africain me procure un feeling extraordinaire.

Pourquoi ?
Tout simplement parce qu'il est compliqué de remporter cette compétition !

Cette joie a-t-elle été atténuée, du fait de votre précédente victoire ?
Disons que ce sont deux choses, deux moments différents et distincts. La première fois n'a rien à voir avec la suivante. Elle demeure inoubliable parce que c'est justement la première.

Revenons un instant à votre arrivée, fin septembre, au Ahly, octuple vainqueur de la Ligue des champions. Avez-vous ressenti ce respect de la part de vos futurs dirigeants, des supporters aussi ?
Franchement, c'est incomparable. Je n'avais jamais vécu ça de ma vie ! Je n'ai jamais été accueilli de la sorte. J'ai atterri au petit matin vers 6 heures, et les gens étaient là à m'attendre à l'aéroport. Je suis entraîneur depuis vingt ans et je n'ai connu que deux clubs avant le Ahly (Supersport United, Mamelodi Sundowns), sans oublier un passage sur le banc de la sélection sud-africaine. Alors, cet accueil, c'est quelque chose d'inoubliable.

Combien de temps cela vous a-t-il pris pour accepter l'offre du Ahly, alors que vous restiez sur un triplé (Championnat et deux Coupes) en 2020 avec les Sundowns ?
Cela m'a pris une journée. Et c'est long ! J'avais envie de vivre cela. Quand vous entraînez dans un pays et dans un club aussi longtemps -j'avais accompli huit ans aux Sundowns- vous n'avez pas envie de recycler indéfiniment, surtout quand il y a une telle opportunité ailleurs. Huit ans, c'était assez pour prouver que je suis loyal, non ? J'ai le respect de mes supporters et du club. Mais j'avais envie de faire quelque chose pour moi.

Était-ce le moment idéal pour partir ?
Oui. Le timing était parfait, puisqu'on venait de réussir ce triplé sur la scène nationale à l'issue de la saison 2019-20. Et puis nous étions éliminés de la Ligue des champions d'Afrique en quarts.

Par quelle équipe ?
Par le Ahly, le club que j'ai rejoint quelques mois plus tard au stade des demies ! Ça m'avait fait mal d'être sorti comme ça. Outre le break de plusieurs mois dû au Covid, j'ai eu cette opportunité en raison du départ du Suisse René Weiller, dont le contrat avait expiré et qui ne souhaitait pas prolonger. Et quand je suis arrivé au Caire, ni le Championnat, ni la Coupe ni la Ligue des champions n'étaient terminés !

Après la Ligue des champions, vous venez de remporter la Coupe d'Egypte aux tirs au but. Le championnat 2020-21 reprend ce week-end. Et vous avez encore la Coupe du monde des clubs et la Supercoupe d'Afrique qui vous attendent. Ce rythme effréné avec un match tous les trois jours est-il un souci pour vous ?
C'est un sentiment très étrange. D'ordinaire, quand on remporte de telles compétitions, on fait un break, on part en vacances, il y a une vraie coupure. Mais soyons honnêtes, qui a pu s'offrir ça cette année ? Le Covid a rendu les choses... étranges, particulières.

Pensez-vous le Ahly suffisamment outillé pour enchaîner sans coupure avec cette nouvelle saison qui vous verra évoluer sur cinq tableaux (Championnat, Coupe nationale, Supercoupe d'Afrique, Coupe du monde des clubs, Ligue des champions) ?
On n'a pas vraiment recruté, en fait. On a récupéré les joueurs qui avaient été prêtés ici et là. Je crois qu'un seul joueur a été signé mais avant mon arrivée, le capitaine du Raja Casablanca, Badr Benoun.

Si vous deviez comparer le Championnat égyptien et celui de votre pays d'origine ?
Le jeu ici est bien plus physique qu'en Afrique du Sud. Ce sont des joueurs très athlétiques. Ici aussi, la technique est meilleure, quand il s'agit de frapper le ballon, les coups de pied arrêtés, de passer ou contrôler le ballon. En Afsud, je crois en revanche qu'il y a un vrai «flair» pour le dribble. On aime ça. Sur le plan de la couverture télévisuelle des matches, l'Afsud filme avec beaucoup plus de caméras. Et c'est un vrai plus quand on prépare les analyses de match. Sur le plan des réseaux sociaux et de la couverture des matches, ici tout le monde parle des matches, c'est partout !

Comment vous y êtes-vous pris pour convaincre vos joueurs à votre arrivée ? C'est l'un des éléments clés de votre réussite...
J'avais besoin de leur montrer qu'ils devaient croire en moi. Ils savaient déjà qui j'étais, pour les avoir déjà battus. Mais le respect était là, on se connaissait entre grands clubs africains. Les Sundowns font partie, tout comme le Ahly, du top 8 africain. Le défi, c'était d'arriver à les faire jouer différemment que ce qu'ils faisaient en Championnat !

Et vous y êtes parvenu !
Quand je suis arrivé, le Championnat était gagné mais il restait quelques matches. Moi, je leur ai dit qu'ils avaient certes gagné mais que sur le plan du jeu, ce n'était pas terrible. Les gens vous regardent alors en se demandant qui vous êtes. Mais ç'a fini par fonctionner. Et on a réalisé un super match en demi-finales retour contre le Wydad (3-1).

Quelle méthode avez-vous utilisé ?
J'ai vu mes joueurs individuellement, par groupes (ligne défensive, milieux, attaquants) et ensuite lors de sessions collectives. Ce n'était pas simple mais il fallait qu'ils voient ce que j'attendais d'eux. Je leur disais que j'étais là pour les aider à gagner la Ligue des champions africaine, et que pour cela, il fallait adopter un autre style. Il était temps de changer les choses, notamment sur le plan de l'organisation défensive, puisque le Ahly courait après ce titre continental depuis 2013. Je voulais que l'on soit capable de fermer les espaces aux adversaires. Regardez le petit nombre de buts concédés depuis notre arrivée (5 en 10 matches, NDLR).

La pression doit être terrible quand on dirige le plus grand club africain, et qu'on est encore invaincu après dix matches, toutes compétitions confondues, non ?
Quand Pep Guardiola est arrivé au Bayern et qu'il a mis en place son système, le club restait sur plusieurs succès en Championnat. Aujourd'hui, on parle toujours de cette influence de Pep. Au Ahly, remporter le Championnat est... normal. Ce qui l'est moins, c'est de réussir le triplé, ce que le club vient d'accomplir. Et cela ne lui est pas arrivé si souvent.

Pouvez-vous évoquer vos influences, ces entraîneurs qui ont pu vous inspirer dans le métier quand vous avez commencé ?
Quand j'étais encore joueur, mes coéquipiers disaient que je ferais mieux de jouer et d'arrêter d'entraîner ! En fait, j'ai toujours voulu entraîner et corriger les choses. Je m'intéressais déjà à l'aspect tactique. Je faisais mes propres analyses d'après-match, il y a trente ans ! Quand ma carrière s'est terminée, j'ai dit que je voulais enseigner le football... différemment. Je regardais Wenger, Ferguson, Mourinho. Ces gens si titrés m'ont inspiré. Je voulais que mes équipes jouent d'une certaine façon. Comme le Barça d'alors ! J'aime quand mes équipes construisent patiemment le jeu. Ce qui ne signifie pas que je ne sais pas les faire jouer différemment pour obtenir un résultat. Je ne suis pas épris de joli football, j'aime un football efficace.

Le fait d'avoir été limogé par votre fédération alors que vous dirigiez les Bafana Bafana (2010 à 2012) vous laisse-t-il des regrets ?
Bien sûr que j'ai des regrets ! Je n'ai perdu que deux matches en deux ans, et j'ai été viré ! J'en veux à la Fédération. Ils étaient trop impatients. Je suis allé les voir et je les ai presque suppliés de me conserver : "Je peux mener la sélection à la Coupe du monde, je pense même pouvoir gagner la CAN." Mais la commission technique n'a rien voulu entendre, ils ne m'ont pas pris au sérieux...

Vous avez pris votre revanche sur le destin depuis...
Effectivement, j'ai remporté mes deux titres africains avec les Sundowns et le Ahly. Et j'ai pu jouer la Coupe du monde, celle des clubs, que je disputerai en février prochain au Qatar. C'est comme ça. Personne n'est parfait, je leur pardonne.

Dernière question, d'où vous vient ce surnom, Jingles, hérité de vos années comme joueur ?
Il se trouve que j'adorais ce joueur et son style, Frank Pereira, surnommée Jingles, dans les années 1970-80 chez nous en Afrique du Sud. Il évoluait aux Kaizer Chiefs de Soweto, le club que je supportais gamin. Lors de la Coupe du monde 2018 en Russie, j'assistais à Espagne-Portugal (3-3). Après le match, un vieux monsieur est venu taper sur mon épaule. Il me demande : "Comment ça va Jingles ?" Puis il me dit qu'il est le Jingles original. J'en suis presque tombé à genoux. Merci pour m'avoir donné ce surnom, Monsieur...»

Propos recueillis par Frank Simon

«Le Covid a rendu les choses... étranges, particulières»

«Je leur ai dit qu'ils avaient certes gagné mais que sur le plan du jeu, ce n'était pas terrible...»

«Quand ma carrière s'est terminée, j'ai dit que je voulais enseigner le football différemment»

«Je n'ai perdu que deux matches en deux ans, et j'ai été viré ! J'en veux à la Fédération sud-africaine»