sauzee (franck) (JC.Pichon/L'Equipe)

Souviens-toi l'Euro Espoirs 88

Le 12 octobre 1988, l'équipe de France Espoirs remportait son premier et seul Euro. Trois joueurs de cette équipe ont accepté de se prêter au jeu des souvenirs pour FF.

C’était encore un format particulier. A l’époque, l’Euro Espoirs s’étalait sur deux ans. Des poules (matches à domicile et à l’extérieur dans un groupe de quatre) et des confrontations aller-retour lors des phases à élimination directe (quarts de finale). Deux saisons qui ont construit une génération de Bleuets, la seule à avoir décroché le premier et unique titre de la catégorie encore aujourd’hui. Un groupe composé de futurs internationaux en A : Eric Cantona, Laurent Blanc, Franck Sauzée, Jocelyn Angloma… Un effectif qui a connu son apogée en finale contre la Grèce. Après le nul obtenu à Athènes (0-0), les poulains de Marc Bourrier s’imposaient 3-0 à Besançon et enlevaient l’Euro. Dans cette équipe, regroupant à la fois qualité et caractère, régnait une ambiance particulière qui rend nostalgiques ses anciens membres. Vincent Guérin, Pascal Despeyroux et Bertrand Reuzeau ont accepté de revenir sur cette période marquante au travers de divers faits.

Le souvenir impérissable

Pascal Despeyroux, milieu défensif
«Ce sont deux années de vie commune extraordinaire depuis le Festival Espoirs de Toulon 1986 où l’on va en finale (défaite 1-0 face à la Bulgarie). On découvre Marc Bourrier et, à ce moment-là, le groupe est aux deux-tiers constitué. Il y a la finale contre la Grèce, l’Italie, l’Angleterre à Highbury… Personnellement, je pense à mon but à la dernière seconde en RDA qui est qualificatif (2-2, en phase de poules). Ce sont deux années magiques, d’autant plus avec le recul. Avec l’âge, on prend conscience du privilège qu’on a eu de s’extraire de la vie de la D1 et de vivre une parenthèse jusqu’au titre de champion d’Europe. En y repensant, j’ai des images du public dans la tribune du stade Mayol avant de disputer la finale du Festival de Toulon qui me viennent. Je vois aussi des mecs comme (Laurent) Blanc, (Stéphane) Paille, (Eric) Cantona… Canto, au premier rendez-vous, il t’arrive frisou comme Rocheteau. Six mois après, il est rasé ! Mais c’est la vie quoi ! Une aventure d’hommes, de jeunes adultes qui se sont affirmés et ont concrétisé leur rêve : devenir footballeur pro pendant 13-14 ans pour la plupart.»
 
Bertrand Reuzeau, défenseur central
«Quand on parle de 88, je garde toujours cet environnement, cette ambiance au niveau du groupe, staff compris. Parce que Marc Bourrier est certainement celui qui a créé ça. Une ambiance bon enfant, très joueuse. On aimait se retrouver pour jouer et gagner. Il n’y avait pas d’autres enjeux financiers, personnels, carriéristes ou autres qui pouvaient venir perturber le groupe. C’était une autre époque aussi. Donc plus que le titre, c’est surtout cette ambiance qui reste et je suis toujours content de revoir les personnes, les joueurs qui ont participé à cette épopée. On s’est éparpillés de par nos vies personnelles et professionnelles, mais on est toujours content de se retrouver. J’ai recroisé Franck Sauzée quand il est venu à Monaco en tant que consultant pour une chaîne télé. Ça faisait un bon moment qu’on ne s’était pas vu et on a discuté, on était super contents. Ce sont des choses simples, mais ça montre que des liens se sont tissés. Des liens simples et clairs.»
 
Vincent Guérin, milieu relayeur
«Je n’ai pas de souvenir qui se détache particulièrement. Ce que je retiens avant tout, c’est l’aventure humaine collective, le fait d’avoir été jusqu’au bout d’une compétition longue de deux ans et cette communion lorsqu’on a soulevé le trophée. Je retiens notre capacité à arracher les résultats. On n’a pas eu un match facile. Le match en RDA avait été très serré, très compliqué et on avait égalisé en toute fin de match.»

Les galères

Pascal Despeyroux
«Oh ça ! C’est quand on s’est rendu en Italie pour le quart de finale retour ! On affrontait la Squadra Azzura de Paolo Maldini, qui comportait déjà de bons joueurs de Serie A. C’était une grosse équipe. On avait gagné 2-1 à Nancy à l’aller et là-bas, on fait match nul après être revenus deux fois au score. Mais cette rencontre retour, c’est un peu le pire déplacement, une vraie galère. On atterrit à Rome, tout nickel, un truc de sénateur. Et puis là, on prend un bus pour rallier San Benedetto del Tronto, sur les bords de la mer Adriatique (NDLR : à plus de 220 km de Rome). Six ou sept heures sur des routes interminables, les corniches et tout, à 50-60 à l’heure. Bon, après, les paysages étaient fantastiques. Mais sinon… Heureusement on se racontait des histoires, il y avait la musique, les cartes pour d’autres. Mais ça a été très très long. A 21 heures, on arrive tous exténués à l’hôtel, la veille du match en plus il me semble. Pour autant, le lendemain, quelle formidable satisfaction au bout.» 
 
Bertrand Reuzeau
«En Italie. Ce transport pour aller au match... Interminable. Ça a marqué tout le monde. Déjà, on ne savait pas trop où on jouait et on devait prendre le bus pour y aller. On ne savait d’ailleurs pas combien de temps le trajet allait durer. Et on se retrouve dans un car assez simple. A l’époque ça allait, on était un peu moins exigeant que maintenant. Mais on voyage sous une forte chaleur et dans un bus très simple, pas climatisé. Ça a duré des heures. Et ça nous a marqués parce qu’habituellement, il n’y avait aucun problème. C’était parfaitement organisé, on arrivait et on jouait pratiquement sur place. Là, c’est un truc qui nous est sorti du chapeau.» 
 
Vincent Guérin
«Le fait de jouer la finale aller le 25 mai et le retour le 12 octobre, c’était complètement aberrant. On s’est retrouvé coincé par cette décision de l’UEFA. Entre ces deux dates, nous sommes nombreux à avoir changé de club, moi le premier (NDLR : transféré de Brest au Matra-Racing). Puis, il fallait aussi gérer entre les deux matches l’absence d'Éric Cantona, l’atout offensif majeur de l’équipe (NDLR : exclu dix mois de toute sélection nationale après avoir qualifié en août le sélectionneur de l'équipe de France A, Henri Michel, de "sac à merde"). Heureusement, on avait beaucoup de ressources pour nous permettre de passer au-dessus de cette déception.»

Pour la petite histoire

Pascal Despeyroux
«Un jour, on a vu Eric Cantona sortir en crampons Copa Mundial moulés. En plein hiver. Et en fait, les trois-quarts de l’équipe se permettaient de jouer en Copa Mundial moulés. Marc Bourrier, un super meneur d’hommes, nous disait : «Mais vous allez glisser ! Vous allez glisser !» Pour notre génération, les Copa Mundial, c’est un mythe. Mais ils étaient «autorisés» uniquement sur des matches amicaux ou en été. Et là, je ne sais pas, on cassait les codes. Je me souviens que je les avais utilisés en Angleterre, à Highbury (demi-finale retour, 2-2) : il pleuvait des cordes, le terrain était gras. Au départ, on se demandait : «Est-ce qu’on se le permet ? Est-ce que ce n’est pas de l’irrévérence ?» Et puis la folie a gagné et c’est parti ! C’était une certaine liberté, une insouciance, on se sentait bien en fait. Et c’est arrivé à Besançon aussi. Marco (Bourrier) gueulait ! Quand je marque contre la RDA, j’étais en moulés par exemple ! En tant qu’entraîneur, quand tu prends de l’âge, tu te dis qu’on était jobards quand même.»
 
Bertrand Reuzeau
«C’est marrant parce que, après la finale à Besançon, ça a tellement était l’euphorie que j’ai du mal à remettre tout dans l’ordre. C’était une soirée pleine d’enthousiasme, d’euphorie, de festif… C’est tellement parti un peu dans tous les sens. Un truc à la mesure de l’ambiance du groupe. Il y avait les amis, la famille, d’autres partaient en ville parce que c’était la fête aussi. Il y avait de tout quoi ! Ça avec le public derrière. Parce qu’il y avait une véritable euphorie à laquelle on n’était pas habitué à l’époque. Et c’est ce qui m’a marqué. Cette allégresse dans la ville, autour de nous. On était que de jeunes joueurs pros, même si certains avaient déjà une bonne cote. Alors c’était inhabituel. Moi qui venais de Laval par exemple, c’était quelque chose totalement à part et qui reste à part. Parce que tu n’es pas coutumier à ce déferlement festif.»
 
Vincent Guérin
«Il y a tellement d'anecdotes qui me viennent à l'esprit mais les circonstances de la finale aller en Grèce (0-0) sont mémorables. Le match se déroule dans une ambiance délétère, les supporters nous avaient jeté des pièces pendant tout le match. Cette pression du public, si hostile à notre égard alors que nous étions encore des jeunes joueurs, c’était tout nouveau pour nous. Au coup de sifflet final, nous nous sommes vite dépêchés de rentrer aux vestiaires, par peur de nous faire agresser par les supporters grecs.»

Des regrets ?

Si Vincent Guérin et Bertrand Reuzeau n’ont pas émis un seul regret au sujet de cette aventure, Pascal Despeyroux, lui, n’a pas cherché longtemps : «Je prends mon deuxième carton jaune sur 12 matches en finale aller en Grèce. Du coup, je suis suspendu pour la finale retour. Donc je ne suis pas sur la photo du sacre parce que je suis dans les tribunes ce jour-là. Et pour un milieu défensif, deux cartons, ce n’était rien. Mais a contrario d’aujourd’hui, les remises de peine en quarts de finale n’existaient pas dans les règlements UEFA. Et l’UEFA ne m’a pas levé la suspension pour deux jaunes sur 12 matches âpres de compétition ! Dans la tribune à Besançon, j’en ai pleuré. Je n’ai même pas pu faire la fête parce que j’avais un train à 6h15 pour rentrer. Je n’étais pas sur le terrain alors que je me suis tapé tous les matches. Quand j’ai passé mes diplômes à la Fédération, ça m’a fait mal parce que dans le couloir de Clairefontaine, il y a la photo, en petit je dois dire. C’est sentimentalement difficile.»

Oscar Lippert et Florent Larios