Peter Bosz, 56 ans, a prolongé de deux ans au Bayer. (Jörg Schüler/Jörg schüler/sport-pressefot)

L'élève devenu Bosz

Amoureux des principes de Rinus Michels, Johan Cruyff et Pep Guardiola, la tête tournée vers le coaching dès l'adolescence, Peter Bosz a attendu de passer la cinquantaine pour se faire un nom au plus haut niveau. Le fruit du travail insatiable d'un technicien toujours curieux, mais jamais satisfait.

«En Allemagne, vous n'avez pas encore vu le vrai Peter Bosz.» Au moment d'entamer sa deuxième expérience en Bundesliga, début janvier 2019, le technicien néerlandais avait prévenu son auditoire. Après son échec la saison précédente au Borussia Dortmund (10 défaites en 24 matches avant d'être remercié malgré un départ canon), où il avait succédé à Thomas Tuchel, Bosz avait les crocs. Finaliste de la Ligue Europa au printemps 2017 avec une brillante équipe de l'Ajax, Bosz avait bel et bien retrouvé la flamme à la tête du Bayer Leverkusen en 2020. Il était même leader de Bundesliga avec son équipe. Une douce revanche, donc, pour celui qui était parvenu à faire oublier les départs de Julian Brandt (été 2019) puis Kai Havertz (été 2020) pour continuer d'enchanter supporters et observateurs. Sa recette ? Toujours la même. Attaquer, presser, confisquer le ballon, encore et encore. Le but ? Gagner, oui, mais divertir, aussi.

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Obsédé par ses principes proactifs, Peter Bosz aime répéter qu'il n'a pas besoin de plan B si son plan A est bien appliqué, ce qui nourrit parfois les critiques à son encontre. Une confiance absolue construite par l'influence majeure de trois hommes : Rinus Michels, Johan Cruyff et Pep Guardiola. Les liens entre ces trois personnages majeurs de l'histoire du jeu a profondément marqué le natif d'Apeldoorn, à 80 kilomètres à l'est d'Amsterdam. Et pour être sûr de ne négliger aucun mot de ses maîtres à penser, Bosz a une technique bien à lui : tout noter sur papier. Lorsqu'il était dirigé par Michels en sélection à la fin des années 1980, il remontait dans sa chambre sitôt les discours de son coach achevés pour tout retranscrire dans un cahier dédié. La moindre interview de Cruyff était également soigneusement classée et archivée dans un «livre» devenu une véritable encyclopédie. Et sur sa table de chevet, un ouvrage garde une place de choix : «Pep Confidential», consacré à la première saison de Guardiola au Bayern.

«Même s'il possède son propre style, on sentait bien qu'il était très influencé par Johan Cruyff, son idole», explique Predrag Rajkovic. L'actuel gardien rémois a évolué une demi-saison en 2016 sous les ordres de Peter Bosz, au Maccabi Tel Aviv. Suffisant pour en conserver un souvenir indélébile : «C'est vraiment un excellent tacticien, mais aussi un homme génial, toujours prêt à t'aider, à te conseiller. Avec lui, tu es sûr d'apprendre des choses. Dès le premier entraînement, il a imposé sa façon de travailler et de jouer, et tout le monde l'a suivi.» En Israël, Bosz avait été recruté par un certain Jordi Cruyff, alors directeur sportif du club. Et peu avant sa mort, le 24 mars 2016, son père Johan était venu assister aux entraînements et aux matches du Maccabi, tout en dissertant sur le jeu avec Bosz. Un moment à part, forcément, dans le parcours du technicien, qu'il a plus tard défini ainsi : «J'ai accumulé dix ans d'apprentissage en une semaine.»

«C'est un excellent tacticien, mais aussi un homme génial, toujours prêt à t'aider. Avec lui, tu es sûr d'apprendre des choses» (Predrag Rajkovic)

Joueur, il pensait déjà comme un entraîneur

De son propre aveu, Peter Bosz a pourtant débuté très tôt son cursus. Dès seize ans, celui qui a tout de même réalisé une très honnête carrière de joueur et porté à huit reprises le maillot des Oranje s'est mis en tête de devenir entraîneur. «Il a toujours su ce qu'il voulait, c'est un pro, confirme son ancien coéquipier à Toulon, François Zahoui. Honnêtement, par rapport à notre époque et à notre groupe un peu fou, on se demandait parfois ce qu'il faisait là ! Il détonnait. Dans l'alimentation, le professionnalisme, la discrétion... Il faisait attention à tout. Et puis tactiquement, on voyait tout de suite qu'il venait de l'école néerlandaise... Il était très précis sur les écarts entre les lignes, ce genre de détails. Tout ce qui concernait l'organisation, le placement, il était à fond.» Durant sa première saison sur la Rade, Bosz, milieu travailleur et «destructeur» (terme qu'il aime employer pour expliquer que l'entraîneur qu'il est ne ferait pas jouer le joueur qu'il était) échange beaucoup, notamment, avec son entraîneur Rolland Courbis.

«Il posait beaucoup de questions, il avait l'envergure, le sérieux, se remémore le consultant de RMC. On avait souvent des discussions sur le positionnement des latéraux, la façon de déclencher le pressing et à quel endroit, il y avait débat ! Il avait des idées très précises, c'était passionnant d'échanger avec lui.» Au fil de son parcours professionnel, à Toulon mais aussi au Japon (deux passages au JEF United Chiba), Peter Bosz développe son ouverture d'esprit, sa curiosité, sans perdre son exigence, ni son goût pour le travail. «Quand je suis allé le voir il y a quelques années quand il entraînait le Vitesse Arnhem, j'ai vu qu'il était devenu un vrai manager, calme, méthodique, lâche François Zahoui, ancien sélectionneur de la Côte d'Ivoire aujourd'hui à la tête de la République Centrafricaine. Je trouvais même parfois qu'il exagérait dans la recherche de la possession (rires). Tous ses exercices sont basés là-dessus, du travail en losange, des toros... Il cherche absolument à avoir la maîtrise au milieu de terrain, à prendre le temps de construire. Ses joueurs doivent être maîtres du jeu et des espaces. Et avec lui, il ne faut pas tirer pour tirer, mais tirer pour marquer !»

Peter Bosz a joué à Toulon entre 1988 et 1991. (N.Luttiau/L'Equipe)

«Je trouvais même parfois qu'il exagérait dans la recherche de la possession (rires). Tous ses exercices sont basés là-dessus» (François Zahoui)

Dogmatique, romantique, perdant magnifique

Fort de ses certitudes et de son amour du jeu de possession, Peter Bosz a patiemment gravi les échelons dans le paysage néerlandais (De Graafschap, Heracles Almelo, Vitesse Arnhem, ainsi qu'une expérience de trois saisons en tant que directeur sportif du Feyenoord), avant de taper dans l'oeil des Cruyff puis d'accéder à son Graal : l'Ajax Amsterdam, à l'été 2016. Dans les années 1990, alors qu'il jouait au Feyenoord, Bosz multipliait les allers-retours afin d'assister aux séances d'entraînement de l'équipe guidée par Louis van Gaal. Armé d'un bloc-notes, cela va de soi. Deux décennies plus tard, il a été tout proche de refaire de l'Ajax un champion d'Europe, atteignant la finale de la Ligue Europa face à Manchester United (0-2). Une épopée qui a forgé son image de technicien dogmatique et romantique, mais aussi illustré son statut de perdant magnifique. Depuis ses débuts sur un banc, Peter Bosz n'a gagné qu'une promotion en Eredivisie, en 2005 avec Heracles Almelo.

Le reste ? Des places d'honneur, beaucoup. «Avec lui au Maccabi, on avait gagné quasiment tous nos matches (NDLR: 12 victoires et 7 nuls), mais ça n'avait pas suffi pour être champion», regrette Predrag Rajkovic. Idem avec l'Ajax en 2016-17, devancé d'un petit point par le Feyenoord en Championnat... Une frustration, forcément, pour cet éternel insatisfait, persuadé que «le match parfait n'existera jamais», comme il l'affirmait au Guardian en 2017. «Il est très attaché au travail quotidien, confirme Rajkovic. Sur le terrain, il est très vocal, afin que que tout se déroule exactement de la manière qu'il souhaite, que chacun fasse et comprenne les mouvements nécessaires. Ce n'est pas un entraîneur qui aime défendre dans son camp, laisser le ballon à l'adversaire, ça c'est certain ! Avoir le contrôle, c'est obligatoire, et même quand vous perdez le ballon, il insiste pour le récupérer le plus rapidement possible, où que ce soit. La règle, c'était de regagner la possession en cinq, six secondes maximum, afin que l'adversaire soit dans une position inconfortable.»

Durant son passage au Vitesse Arnhem (juin 2013 - janvier 2016), Peter Bosz avait fait de son équipe une des plus productives du Championnat néerlandais.

«La règle, c'était de regagner la possession en cinq, six secondes maximum, afin que l'adversaire soit dans une position inconfortable» (Predrag Rajkovic)

Leaders invaincus de Bundesliga, Peter Bosz et Leverkusen peuvent-il briser l'hégémonie du Bayern Munich ? (Reuters)

Des principes forts, une méthode claire, un jeu offensif et proactif, des résultats séduisants mais un palmarès vierge. Tout le prédestinait, finalement, à prendre la direction du Bayer Leverkusen en 2018, ce club dont la salle des trophées n'est constituée que d'une Coupe d'Allemagne (1993) et d'une Coupe de l'UEFA (1988), et qui peine à se défaire de son surnom de "Neverkusen". Dès sa première saison pleine à la tête du Werkself, Peter Bosz a atteint la finale de la Coupe d'Allemagne, les demi-finales de la Ligue Europa, et échoué à la cinquième place de Bundesliga. Du beau pour les amoureux du jeu, du vent pour les grincheux attachés aux résultats purs. En 2020-21, alors que son Leverkusen était leader, personne n'osait donc s'enflammer après ce début de saison magnifique, persuadé que la déception est toujours au bout du chemin. Inévitablement ? «Chaque année, j'ai l'impression que Peter ajoute quelque chose en plus, note cependant François Zahoui. Il dégage une maîtrise, une sérénité... Il n'est plus dans la possession pour la possession, il a ajouté de l'efficacité.» Peter Bosz verra ce superbe début de saison tomber en ruine petit à petit (3 victoires en 14 matches après n'avoir pas connu la défaite lors des douze premières journées), pour être licencié le 23 mars.

Cédric Chapuis