guion (david) (S.Mantey/L'Equipe)

David Guion (Reims) : «J'ai toujours eu les pieds sur terre»

La fin de saison est synonyme de fin d'aventure pour David Guion sur le banc du Stade de Reims. Après quatre saisons comme numéro 1 et neuf années au club, le technicien fait un bilan d'un exercice 2020-21 pénible et s'ouvre sur sa profession.

«A quel point cette dernière semaine est-elle spéciale ?
Passer neuf ans dans un club reste un grand moment de sa vie sportive. Vu mon âge, ce sera le seul club dans lequel je passerai autant de temps.

Avec quel état d'esprit vit-on ces derniers jours ? Une certaine nostalgie ou le sentiment d'avoir effectué un beau passage ?
Je suis plutôt sur la deuxième idée. Je suis vraiment très fier des neuf ans que j'ai passés. Avec les joueurs, l'idée est de finir cette dernière semaine ensemble, avec énormément de plaisir, et de partager un moment de convivialité. Même chose avec le staff : savourer le travail effectué. J'aurais l'occasion de monter dans les bureaux et au centre de formation pour aller remercier tous les gens qui m'ont accompagné.

Des joueurs viennent-ils plus que d'habitude vous parler ?
Oui, j'ai discuté avec quelques joueurs de façon complètement informelle. Ce n'est pas moi qui oriente la discussion, on discute de tout et de rien, les moments ensemble, ce qu'ils retiennent...

Y a-t-il des interrogations chez eux ?
Je ne vais pas sur ce terrain-là. On est dans un milieu professionnel, un milieu impitoyable. Je n'ai pas envie de les mettre mal à l'aise vis-à-vis du club.

«Depuis cette annonce, nos résultats ne sont pas à la hauteur»

Sentez-vous que vous allez être regretté ?
Chez les joueurs, je sens qu'il y a énormément de respect du travail effectué, beaucoup d'empathie. Maintenant, on est dans une situation sportive entre deux eaux. Depuis l'annonce de mon départ (NDLR : Une annonce quelque peu cafouillée, les informations d'une arrivée d'Oscar Garcia, et donc de la non reconduction de David Guion, pourtant sous contrat encore un an, fuitant dans la presse alors que l'actuel entraîneur du Stade de Reims n'avait pas été informé par sa direction), il y a eu quand même un peu de démobilisation quand on regarde le nombre de points qu'on avait pris (NDLR : Reims est actuellement sur une série de deux matches gagnés sur seize). J'ai bon espoir qu'on finisse tous ensemble sur une bonne note dimanche.

Vous avez senti que le groupe a été perturbé...
Perturbé, certainement un peu. Depuis cette annonce, nos résultats ne sont pas à la hauteur. Ce n'est pas anodin.

Cet épisode de l'annonce de votre départ est-il digéré ?
Oui, complètement. J'ai eu le temps de le digérer, de préparer à tourner la page. Comme j'avais dit : je n'avais pas été surpris, donc c'est beaucoup plus facile de passer à autre chose.

David Guion (à droite), avec Stéphane Dumont, son adjoint. (L.Argueyrolles/L'Equipe)

Mais a-t-il été long d'accepter cette décision ?
Non, non. Quand on vit avec les gens au quotidien, on a l'habitude, surtout moi qui suis assez dans la prise de recul et l'analyse, de sentir très rapidement les choses.

Jean-Pierre Caillot, votre président, est-il revenu vers vous après ce cafouillage ?
Il est venu me voir le lendemain de l'article paru pour s'excuser du fait que je l'ai appris dans la presse.

Sincèrement, aviez-vous imaginé quitter Reims à la fin de cette saison ?
Non. Mon idée était de finir au moins mon contrat. Je travaillais sur le long terme. Il n'y avait aucun doute. On le voit bien à travers la saison, où j'ai lancé et fait confiance aux jeunes, avec les risques que cela a amené. J'ai toujours eu l'idée de construire le présent et le futur. J'avais dans l'idée de continuer à promouvoir et développer des jeunes, à leur amener de l'expérience pour en profiter la saison prochaine.

Vous avez pris trop de risques cette saison ?
C'était assumé : on a le onze le plus jeune de France. C'est toujours le même dilemme : promouvoir des jeunes et avoir des résultats. Lorsqu'on fait jouer des jeunes, les gens doivent comprendre qu'il y a des erreurs. Et on n'accepte pas leurs erreurs, on a bien vu qu'il y en a beaucoup qu'il a fallu rattraper. C'est tout le travail de l'entraîneur.

«Mon idée était de finir au moins mon contrat. Je travaillais sur le long terme. Il n'y avait aucun doute.»

Est-ce que cela a impacté autre chose ?
(Il réfléchit) Non, il fallait que je réponde de cette façon. Les joueurs avaient besoin que j'ai cette posture avec eux, chose qui était différente lors des années précédentes. C'était rentré facilement. Là, les principes ont été très long à faire rentrer dans la tête des joueurs. Autant, les saisons dernières, je pouvais m'appuyer pour relayer mes messages auprès de cadres, autant cette année, j'en avais trop peu. L'investissement relationnel auprès des jeunes et d'autres a été beaucoup plus important.

Du coup, à vous entendre, vous ne diriez pas que cette saison 2020-21 est amère.
Non, pas du tout. Il faut comprendre qu'on a surperformé lors des deux premières années en L1 (NDLR : 8e en 2018-19, 6e en 2019-20). Cela n'a pas toujours été bien entendu, malgré l'avoir crié haut et fort. Passer plus de la moitié de la saison actuelle entre la 10e et la 12e place est la normalité pour le Stade de Reims. Beaucoup de gens ont eu du mal à le comprendre. Il ne faut pas oublier tous ces jeunes qu'on a fait débuter cette année, il ne faut pas oublier ce manque d'expérience. Cette saison, le Stade de Reims est dans la normalité. J'ai su sublimer l'état d'esprit du Stade de Reims.

«J'en ressors encore renforcé par les valeurs que j'ai envie de développer»

Comment ressortez-vous humainement de cette dernière saison ?
J'en ressors encore renforcé par les valeurs que j'ai envie de développer. Ça me renforce dans ce que je souhaite. Lors des trois premières années, on me disait toujours : "De toute façon, pour toi, c'est facile, tu n'as que des succès." Déjà, pour avoir des succès, c'est énormément de travail. Ensuite, on me disait : "On te verra quand ce sera un peu plus difficile." Je ne dis pas que j'attendais un moment difficile, mais avec ce début de saison très difficile entre le calendrier, la Coupe d'Europe, les suspendus, le Covid-19, on était dans le dur. Avoir redressé l'équipe cet hiver et avoir passé toute la deuxième partie de saison dans le ventre mou est vraiment une grosse fierté. Ça se surmonte aussi en restant soi-même, en cherchant, en se remettant en cause, en innovant. C'est pour ça que je suis très content d'avoir su répondre à ces difficultés-là.

Sur quoi diriez-vous avoir innové ?
Dans l'accompagnement avec les garçons. Il a fallu que je m'investisse davantage. Non pas que je n'étais pas investi avant, mais davantage sur le management car j'avais trop peu de relais dans le vestiaire. Il a fallu être beaucoup plus présent, innover à travers les séances d'entraînement car je n'avais pas les mêmes rendus. Et innover aussi dans tout ce qu'était la mise en confiance : trouver des moments d'échanges pour rassurer les garçons, mais aussi savoir remettre en cause certains acquis.

Vous avez été davantage DRH qu'entraîneur ?
Non. Il a fallu mettre davantage les mains dans le cambouis.

La progression collective de cette saison n'a pas été à la hauteur des attentes. Avez-vous été déçu de ce rendu collectif ?
Oui. Les joueurs n'ont pas progressé aussi rapidement que les années précédentes, parce qu'il aurait fallu avoir un peu plus de garçons expérimentés autour d'eux, avec de l'aura, pour les accompagner, pour qu'ils prennent totalement confiance et pour qu'ils s'épanouissent. Donner trop tôt les clés à de jeunes joueurs est difficile. On l'a bien vu avec un (Axel) Disasi : il a été patient, il a pris son envol après une saison aux côtés de (Yunis) Abdelhamid. On a senti qu'il fallait du temps, de la patience pour cette jeune équipe qui n'avait pas un grand vécu. Elle n'a pas avancé aussi rapidement que je l'espérais. Pendant un moment, il a même fallu que je réfléchisse à solidifier davantage cette équipe pour prendre des points. Cet hiver, avec le retour de (Xavier) Chavalerin, on a su solidifier. Cela a permis à un Wout Faes d'être sécurisé et de progresser. Lorsque l'équipe a pris un peu plus de points, on a pu faire jouer à nouveau des jeunes. Un gars comme (Nathanaël) Mbuku a pu s'épanouir. Et sur cette fin de saison, j'ai pu aussi intégrer un (Dion) Lopy, qui a tout de suite été bon parce qu'il y avait les points.

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«Il faut comprendre qu'on a surperformé lors des deux premières années en L1. Cela n'a pas toujours été bien entendu, malgré l'avoir crié haut et fort.»

«Il faut aussi avoir les pieds sur terre et avoir une très bonne lecture de qui on est»

N'y avait-il quand même pas davantage d'attentes ? Le club avait communiqué sur des ambitions de figurer très régulièrement, à terme, dans le top 10 de la Ligue 1. Là, vous pourriez terminer 15e, voire plus.
C'est toujours pareil : ce sont les moyens qui sont mis en place par rapport à l'objectif. Quand on voit ce que Lens et Lorient, promus, ont investi pour leur première saison en Ligue 1... Le Stade de Reims n'a jamais investi autant d'argent. Il faut aussi avoir les pieds sur terre et avoir une très bonne lecture de qui on est.

Reims n'a pas été assez ambitieux par rapport à ce qu'il a envie d'être ?
C'est vrai que l'Europe a pu faire tourner la tête à certains. Comme je l'ai dit, j'ai toujours eu les pieds sur terre.

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«Les joueurs n'ont pas progressé aussi rapidement que les années précédentes, parce qu'il aurait fallu avoir un peu plus de garçons expérimentés autour d'eux, avec de l'aura, pour les accompagner, pour qu'ils prennent totalement confiance et pour qu'ils s'épanouissent.»

Vous n'aviez pas des joueurs capables d'absorber la pression d'une mauvaise situation comptable.
C'est ça, et on l'a vu dès le début de la saison avec les difficultés qu'on a rencontrées. Les garçons se sont mis trop rapidement à douter. Alors que, comme je leur disais : "La confiance, vous l'avez. A vous de démontrer." Je leur avais donné les clés, mais ils avaient besoin encore d'être accompagnés, notamment sur le terrain. C'est pour ça que le rôle de Yunis Abdelhamid a été prépondérant. Mais il a été trop seul tout au long de la saison.

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La trop grande mixité des nationalités dans votre équipe a-t-elle aussi pu être un frein ?
C'est vrai que c'était quelque chose qui est revenu beaucoup. C'est un choix du club, un choix d'orientation de la politique sportive, de faire du trading avec des jeunes joueurs qui arrivent de pays étrangers. La difficulté n'est pas de communiquer, mais c'est plutôt dans la cohésion parce qu'ils n'ont pas la même identité. Un Autrichien (NDLR : Exemple de Dario Maresic) et un Zimbabwéen (NDLR : Marshall Munetsi) n'ont pas la même identité, ils ne perçoivent pas les choses de la même façon. C'était donc surtout s'adapter à toutes ces identités qui était le plus difficile. L'idée a été de faire au mieux, de mettre des relais selon les provenances des joueurs. On a aussi un garçon dans le staff, Miguel Comminges, qui remplit un rôle de proximité, qui parle parfaitement l'anglais. Ensuite, régulièrement, ce sont beaucoup d'entretiens individuels avec les uns et les autres. C'est un gros, gros, gros travail. Le plus important, c'est surtout sur le terrain. Et, là aussi, on a pu avoir un peu de retard par moment : il a fallu expliquer trois-quatre fois les choses pour que les garçons intègrent également ce qu'on voulait. C'est de la perte de temps. Il faut faire attention à ça.

Question joueurs étrangers dans la logique du trading, des éléments comme Kaj Sierhuis, Anastasios Donis, Arbër Zeneli, Valon Berisha ou Dario Maresic devaient percer plus qu'ils ne l'ont fait jusque-là.
Je suis là pour avoir des résultats, gagner des matches, faire jouer les meilleurs et ceux qui se complètent le mieux. Quand je fais ma composition d'équipe, à aucun moment je ne m'occupe des nationalités ou des garçons qui doivent être une source de profit pour le club. La preuve en est, c'est que le petit Mbuku, en début de saison, n'était même pas dans les vingt. Il est allé gagner sa place tout seul. Wout Faes, malgré un début de saison hésitant, j'ai continué à lui accorder ma confiance parce que je sentais qu'il y avait énormément d'adhésion aux entraînements et une grosse envie de progresser.

Ce n'était pas le cas pour des Sierhuis ou Zeneli par exemple ?
Le problème de Kaj Sierhuis, c'est qu'il était face à une concurrence où Boulaye Dia a fait une saison exceptionnelle. Je lui ai donné sa chance pendant deux mois de suite, il a joué. Pour Zeneli, cela a été un petit peu plus difficile. C'est celui qui a le plus joué l'été pour le remettre en forme. Ensuite, de la concurrence s'installe. Entre (Moussa) Doumbia et (Mathieu) Cafaro... Il me fallait mettre la meilleure équipe pour gagner.

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Un El Bilal Touré davantage en difficulté cette saison. (L.Argueyrolles/L'Equipe)

Vous évoquiez le trading : êtes-vous en phase avec cela ?
C'est une politique du club, je dois m'adapter à ce que le club a décidé. Je comprends bien qu'il y a trois ressources majeures : les droits télés, les hospitalités (NDLR : Les abonnés et les VIP) et le trading. Je sais qu'il faut être en capacité de développer des joueurs, ça, on sait faire. Je pense que le trading est intéressant, évidemment, mais je pense que les clubs devraient aussi penser à leur centre de formation. Ce qui fait la force du Stade de Reims depuis quatre ans, c'est la vente de joueur du centre de formation : (Jordan) Siebatcheu, (Rémi) Oudin, Disasi et là Mbuku voire Boulaye Dia, c'est plus de 50 millions d'euros qui rentrent. Et vendre Mbuku et Dia va peut-être aider le club à être un peu plus serein.

N'estimez-vous pas que le club a pu aller un peu trop vite avec ce trading ?
C'est une volonté de la part des dirigeants. Ils estiment qu'il y a des meilleurs coups à faire à l'étranger qu'en Ligue 2 ou en Ligue 1, et qu'il y a des choses à explorer. Maintenant, derrière ça, il y a beaucoup, beaucoup de moyens à mettre en place, qu'ils soient humains ou structurels. C'est un énorme travail.

El Bilal Touré n'est-il pas l'illustration de ces jeunes en difficulté ?
Oui. On est dans un cas de figure assez intéressant à analyser. C'est un garçon arrivé en janvier 2020 du Mali avec énormément de fraîcheur. Il doit passer d'abord six mois au centre de formation. Boulaye Dia se blesse, je n'ai pas trop de solutions, j'ai envie de le lancer mais l'équipe est en confiance, elle a des points, elle est bien dans son football, dans son identité. Il fait son premier match à Angers, il marque. Il fait trois mois intéressants, avec un but dans le jeu contre Brest (NDLR : Trois buts lors de ses sept premiers matches en L1 avant l'arrêt de la saison). Donc il joue un peu par la force des choses. En début de saison 2020-21, il fait une préparation correcte, il fait un match correct contre Monaco (NDLR : 2-2, 1re journée, un but et une passe décisive pour Touré), il commence à découvrir la concurrence. Il est en difficulté parce qu'il n'est pas content de ce qu'il fait quand il rentre et quand il n'a pas assez de temps de jeu. Il n'est pas patient. Il fait une saison difficile certainement parce qu'on est dans le cas de figure du garçon que j'ai lancé un peu trop tôt. Mon passé de formateur m'aide beaucoup pour ça : c'est très, très important de lancer le joueur au bon moment, c'est essentiel. On l'a bien vu avec Mbuku. Pour El Bilal Touré, il aurait fallu qu'il aille faire deux ou trois matches avec la réserve pour reprendre confiance et marquer des buts. Malheureusement, je n'ai pas pu le faire. Il a douté. Quand il a eu sa chance, il n'a pas su la saisir... C'est un garçon qui travaille, qui a un bon état d'esprit. J'espère que tout cela va l'aider pour la saison prochaine.

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«Edouard Mendy remettait en place certains joueurs avant que je ne le fasse»

Vous avez toujours fonctionné avec des joueurs que vous appelez vos "majeurs" qui vous servent de relais dans le vestiaire. Vous parliez tout à l'heure d'un Abdelhamid trop seul. Estimez-vous avoir eu moins de relais cette saison ?
Ah oui, complètement. Quand j'ai débuté, j'en avais sept. Cette année, j'ai essayé de responsabiliser certains. Cela a été difficile. Mais celui qui a été un vrai relais pour moi et je l'ai remercié, c'est Yunis.

Pour qui cela a-t-il pu être compliqué d'être un relais efficace ?
J'aurais par exemple aimé qu'un Thomas Foket prenne davantage de responsabilités sur sa troisième année. Aussi parce qu'il y a trois Belges dans le vestiaire, il parle plusieurs langues. C'est quelqu'un d'introverti. J'aurais aimé qu'il s'investisse davantage.

Du coup, vous avez senti que ce manque de relais a compté.
C'est important, ne serait-ce que pour relayer tout ce que je souhaitais. Et aussi pour que les remises en cause puissent être faites dans le vestiaire. Les premières années, Edouard Mendy remettait en place certains joueurs avant que je ne le fasse. Même chose pour Danilson Da Cruz. Marvin Martin s'est occupé de Mathieu Cafaro la première année...

Qui aviez-vous choisi pour vos majeurs cette saison ?
Yunis, Xavier Chavalerin, qui est plus un exemple sur le terrain, de part sa générosité, c'est quelqu'un qu'on a envie de suivre mais qui ne prend pas obligatoirement la parole, il incarne l'exemple sur le terrain. J'avais Valon Berisha que j'ai voulu responsabiliser très rapidement, Thomas Foket et j'ai voulu que (Predrag) Rajkovic prenne un petit peu plus d'épaisseur.

«Quand je fais ma composition d'équipe, à aucun moment je ne m'occupe des nationalités ou des garçons qui doivent être une source de profit pour le club.»

Zeneli est-il le joueur qui vous a le plus déçu par rapport à ses débuts qui avaient été très prometteurs avant sa blessure aux ligaments croisés ?
Déçu, non. Il a beaucoup de qualité, mais il doit penser collectif, il doit se tourner vers le collectif. Il le sait, je lui ai dit depuis le début. L'enjeu est là pour lui. C'est de donner. S'il donne, il recevra. Dans la période où on était, surtout dans un club comme le Stade de Reims, je ne vois pas d'autres solutions que de mettre le collectif et l'équipe en avant.

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«Les clubs devraient aussi penser à leur centre de formation.»

«Battre des records, c'est jouissif»

Etes-vous capable de résumer vos neuf ans à Reims et surtout vos quatre ans à la tête de l'équipe première en un mot ?
Surperformance (Il sourit). On a dépassé tous les objectifs, qu'ils soient sportifs ou financiers.

Quelle a été la période où vous avez pris le plus de plaisir ?
La première année, quand on explose les records. Quand on est champions au mois de mars (NDLR : En avril plus exactement) et qu'on entraîne pour battre des records, c'est jouissif.

C'était une sorte de plénitude.
Oui, complet. Une fluidité, une plénitude. C'est vraiment très, très agréable.

Citez-nous vos cinq meilleurs moments.
Ça va être paradoxal, mais je vais commencer par un match qui est charnière lors de la première année (NDLR : 2017-18, en L2). On avait gagné nos quatre premiers matches (avec une défaite à Lorient juste après). On reçoit Brest. Tout va bien, on est déjà premiers. Le groupe vit super bien. Je décide de faire vivre l'équipe et de faire rentrer les jeunes, qui étaient très bon à l'entraînement. Je change donc l'équipe face à Brest. On fait un super match, magnifique, on a le ballon. Brest a zéro tir cadré. Ils ne voient pas le ballon. Sur une passe en retrait, Julian Jeanvier trompe Edouard Mendy et on perd 1-0.

Là, je me dis : "C'est bon, j'ai compris." Il faut que j'ai des résultats, je sais que je vais super bien jouer avec cette équipe, mais je ne gagnerai pas autant de matches qu'avec une équipe plus expérimentée et plus efficace. Ça change tout. Je remets mon équipe, elle ne bouge plus. Grâce à ça, je sais tout de suite où je vais (NDLR : Reims termine champion de Ligue 2 en battant plusieurs records). Ensuite, je dirais le match contre Ajaccio : être champion en mars (NDLR : En avril, donc), c'est exceptionnel. Puis le premier match de Ligue 1 qu'on gagne à Nice avec le but de Doumbia (NDLR : 11 août 2018, 1-0). Ça amène tout de suite de la confiance, c'est superbe.

On dit que ça va très vite dans le football : est-ce que le poste d'entraîneur a eu le temps de beaucoup évoluer en quatre ans ?
Oui, ça va vite. Au fur et à mesure, j'ai optimisé ma méthodologie. C'est là que ça m'a fait un peu rire : j'ai innové, et quand c'est un entraîneur étranger qui arrive, qui met des drones sur sa séance d'entraînement, qui fait un retour mi-temps en vidéo (NDLR : Référence à la méthode de Mauricio Pochettino), on est ébahis devant ça. Je suis surpris que cela ait énormément d'écho. Hors, moi, en tant qu'entraîneur français, je fais ça depuis que je suis en Ligue 1. C'est très, très surprenant. Depuis quatre ans, l'entraîneur français n'est pas à la place qu'il souhaiterait. On évalue mal, parce qu'on ne vient pas voir le travail. Ensuite, je vois bien depuis quelques temps qu'il y a une tendance à vouloir des entraîneurs qui développent du jeu. Il y a quelques temps, c'était des entraîneurs à poigne. Derrière ça, on met tout et n'importe quoi, on ne regarde pas les moyens ou les objectifs. Ma première année en Ligue 2, dans ma ligne d'attaque, j'avais toutes les qualités : de la vitesse en débordement avec Diego (Rigonato), un pied avec Oudin, une présence athlétique avec Siebatcheu et de la grinta et de la profondeur avec (Pablo) Chavarria : bah j'ai marqué 80 buts. L'année d'après, depuis que je suis en Ligue 1, je suis avec Cafaro, Oudin, Dia et Mbuku : c'est zéro euro. Je dois développer un style de jeu pour les mettre en valeur, parce qu'ils vont être amenés à partir, et je dois gagner des matches. Je dois donc trouver un style de jeu le plus efficace possible tout en mettant en valeur ces joueurs. C'est tout ce que j'aime dans le métier d'entraîneur : cette alchimie qu'il faut aller chercher, sublimer son effectif et en tirer le maximum. C'est ce que je pense que j'ai réussi à faire pendant quatre ans.

Recherchez-vous le beau jeu ?
Inévitablement. Je veux prendre du plaisir, je veux en donner à mes joueurs et je veux en donner aux gens dans le stade. C'est un spectacle. Si mes joueurs m'ont suivi depuis quatre ans aux séances d'entraînement, c'est qu'ils ont pris beaucoup de plaisir à travers les entraînements. Ça veut dire qu'on a réfléchi, qu'on a mis en place des séances de façon à ce qu'ils prennent du plaisir, qu'ils réfléchissent et qu'ils progressent. Ça, on peut le faire qu'à travers un gros travail de fond aux entraînements.

Puis le dernier match de cette saison qu'on gagne face au PSG et qui nous propulse à la huitième place (3-1).

Thierry Laurey a dit dernièrement : "On n'est pas là pour faire les beaux, on n'est pas là pour plaire au public ou aux téléspectateurs. On est là pour être efficace." Ça vous inspire quoi ?
Je sais qu'il s'est attiré les foudres. Je suis un petit peu plus nuancé. Il faut avoir des résultats et être efficaces, mais la façon d'y arriver reste de marquer un but de plus que l'adversaire. Ça veut dire qu'il faut chercher des solutions pour marquer des buts.

Revenons sur votre regard autour des entraîneurs français. Vous vous rangez dans la catégorie de ceux qui estiment qu'ils ne sont pas assez mis en valeur.
Oui, complètement. J'ai pas mal d'expérience depuis 35 ans. Je peux vous dire qu'il y a de magnifiques formateurs, et qu'il y a de nouveaux entraîneurs qui arrivent tous les ans. Ils sont capables de faire de très belles choses. Des entraîneurs étrangers amènent énormément de choses. Je vois ce que fait (Niko) Kovac. J'apprécie énormément les progrès et son travail. Mais il y a des entraîneurs français qui ont aussi beaucoup de talent et qui sont capables de mettre en place un projet pour peu qu'on leur en donne les moyens.

C'est quoi le problème alors ?
Ce n'est pas encore culturel en France, mais je pense que l'entraîneur est l'homme le plus important du projet sportif. C'est lui qui incarne la politique sportive. On le voit bien à l'étranger, ils ont compris ça. Sinon le Bayern Munich ne mettrait pas 25 millions d'euros sur (Julian) Nagelsmann, (Jürgen) Klopp n'aurait pas les bras aussi costauds qu'il les a. Aujourd'hui, quand on pense Liverpool, on pense qui ? On pense Klopp. Quand on pense City, on pense (Pep) Guardiola. Ils ont compris. Il n'y a qu'une seule personne qui s'exprime. L'entraîneur incarne le sportif. Pour moi, en France, on a encore du travail à faire à travers ça. On doit faire confiance. Il y a des superbes entraîneurs français à qui on peut faire confiance.

Mais ces jeunes ne deviennent-ils pas de plus en plus impatients ?
On est dans une société de vitesse. Tout va vite, et eux ils se sont adaptés à cet environnement. Ils sont impatients, ils veulent vite jouer. C'est à nous d'entrer en communication pour expliquer toute cette patience qu'il faut avoir, et ce travail. Tout le monde veut faire comme (Kylian) Mbappé mais ça reste un cas isolé. L'accompagnement est essentiel. Dans mon staff, j'ai un entraîneur dont la tache est orientée vers les jeunes.

Savez-vous de quoi va être fait votre avenir ?
Non, pas encore. De part la période qu'on a passé, j'ai toujours dit que notre rôle est de transmettre des émotions, de partager des émotions. Le public nous manque beaucoup. J'ai vraiment envie de trouver un projet dans un club populaire. Entendre ce public crier, taper des mains, voir un public vraiment proche de son public. C'est vrai que ça me manque beaucoup. J'aimerais rester en Ligue 1. Il y a des intérêts, maintenant, c'est un peu tôt. La fin du Championnat n'est pas encore sifflée. Il faut être encore un peu patient.»

La saison d'après, on a cette victoire à Paris, 2-0, où je lance des jeunes. Un grand moment, évidemment.

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«J'ai beaucoup apprécié des garçons qui s'investissaient pour le collectif»

Je suis obligé aussi de mettre une rencontre de Coupe d'Europe, parce que c'est symbolique pour un club comme le Stade de Reims. Donc je dirais notre premier match plus de cinquante ans après à Genève (NDLR : victoire 1-0).

Quelle rencontre humaine vous restera chez vos joueurs ?
J'ai beaucoup apprécié des garçons qui s'investissaient pour le collectif. J'ai bien envie de donner un trio : (Edouard) Mendy, (Danilson) Da Cruz et (Yunis) Abdelhamid. Mendy incarne le leadership avec, maintenant, une énorme fiabilité ; Danilson Da Cruz était l'entraîneur dans le vestiaire, avec une énorme justesse ; Yunis Abdelhamid, cela a toujours été l'humilité au service du collectif.

Y a-t-il un joueur qui vous a beaucoup surpris par sa progression ?
Un garçon qui a beaucoup avancé, c'est Hassane Kamara. Je l'avais avec moi en réserve. J'avais décidé de le reconvertir arrière gauche. Je me souviens, c'était à Strasbourg. Il n'avait pas envie, parce qu'il aimait prendre du plaisir plus haut. Il ne savait même pas faire une rentrée de touche. Ça a été un long processus. Il a cru en ce que je lui ai dit, qu'il lui fallait plus d'espaces, qu'il parte de derrière, que s'il faisait une carrière en Ligue 1, ce serait dans ce rôle. Progressivement, il a énormément travaillé, il a avancé dans sa mentalité de travail. Aujourd'hui, c'est un joueur reconnu de Ligue 1. Je peux vous dire que c'était loin d'être gagné.

«Quand c'est un entraîneur étranger qui arrive, qui met des drones sur sa séance d'entraînement, qui fait un retour mi-temps en vidéo, on est ébahis devant ça. Je suis surpris que cela ait énormément d'écho.»

«Qu'est-ce que c'est le beau jeu ?»

Estimez-vous que Reims a développé du beau jeu cette saison ?
On a été plus en difficulté. Depuis que j'avais pris l'équipe, je jouais avec deux milieux de terrain purement défensifs. J'avais Chavalerin-Da Cruz, puis Chavalerin-Romao. Cette année, j'ai voulu apporter plus de créativité dans la première relance, dans les ressorties de balles avec (Moreto) Cassama et aussi Wout Faes. Tout cela a été au détriment de notre solidité. Puisque les résultats n'étaient pas là, il a fallu un moment un peu revoir sa copie. A partir du moment où (Xavier) Chavalerin est revenu de blessure après avoir été absent deux mois, on a remis en place un système plus solide. Wout Faes, comme par hasard, a augmenté ses performances et l'équipe a dû perdre trois matches sur vingt et quelques (NDLR : Trois défaites en 20 matches toutes compétitions confondues entre le 24 janvier et le 23 avril). Cela nous a aussi permis de mettre en lumière Nathanael Mbuku. Comme les résultats étaient positifs, il a pu se mettre en valeur et il est devenu un titulaire indiscutable. La seule chose, c'est qu'on manque de joueurs efficaces, qui ont des stats, parce qu'à part Boulaye Dia (NDLR : 14 buts), on n'en a pas d'autres. Voilà comment une saison peut se dérouler et comment il faut réajuster au fur et à mesure.

Mais les attentes étaient toutes autres chez vos supporters. Y a-t-il une différence de lecture autour de ce beau jeu entre les supporters et les entraîneurs ?
Cette définition est difficile. Souvent, le beau jeu, c'est le nombre de buts marqués. Qu'est-ce que c'est le beau jeu ? On aimerait que notre équipe fasse du beau jeu, mais il faut aussi que je sois objectif, et que je m'adapte aux garçons que j'ai. La question qu'il faut se poser c'est : avec les joueurs que l'on a, qu'est-ce qu'on est capables de développer comme football ? Mais ce qu'il faut, au préalable, davantage se poser c'est : voilà le jeu que je veux mettre en place et les joueurs que je veux mettre dedans.

Thierry Laurey, David Guion, et la question du beau jeu. (E.Garnier/L'Equipe)

«L'entraîneur est l'homme le plus important du projet sportif. C'est lui qui incarne la politique sportive.»

«On est le centre de formation de l'Europe»

Vous avez un long passé de formateur. Comment la gestion des jeunes joueurs évolue en France ?
On est le centre de formation de l'Europe. Les clubs français sont obligés de vendre leurs meilleurs jeunes pour boucler leur budjet. On ne forme pas assez longtemps, on n'en profite pas assez longtemps dans nos clubs et on les fait jouer de plus en plus tôt pour les vendre de plus en plus tôt... Si on en profitait un ou deux ans de plus, je pense que tous les clubs auraient beaucoup plus de qualité et qu'on aurait de meilleurs résultats notamment en Coupe d'Europe. Ça passe par une refonte au niveau structurel, notamment au niveau du premier contrat professionnel.

C'est-à-dire ?
Le premier contrat professionnel ne peut pas être de trois ans après 17 ans. On peut le signer après avoir été aspirant. Je vois bien pour le petit Mbuku : j'ai été le prendre à Clairefontaine à 14 ans. Il signe aspirant à 15 ans. A 17 ans, je le fais jouer et il signe pro. C'est beaucoup trop tôt. Ça veut dire qu'il est libre à 20 ans et qu'il faut le faire resigner. Donc qu'on va le payer à un autre montant, et qu'il va être vendu. Ou alors qu'il va être libre et il va se passer ce qu'il s'est passé avec (Adil) Aouchiche et d'autres. C'est un problème de fond. On sait former. On a de très bons formateurs. On a des très bons talents. On a tout. On a la matière première pour performer et les amener au haut niveau. Les entraîneurs français sont exemplaires là-dessus parce qu'ils savent donner leurs chances aux jeunes joueurs. La difficulté, c'est qu'on ne peut pas en profiter. Moi, j'aimerais bien que Mbuku reste encore deux ans au Stade de Reims. Ça passe inévitalement par du contractuel et changer la durée de ce contrat.

«J'ai vraiment envie de trouver un projet dans un club populaire. Entendre ce public crier, taper des mains, voir un public vraiment proche de son public. C'est vrai que ça me manque beaucoup.»

Timothé Crépin