traore (makan) mahrez (riyad) (V.Michel/L'Equipe)

«Il nous disait qu'il jouerait à Barcelone et qu'il ferait la Coupe du monde» : les anciens entraîneurs de Riyad Mahrez racontent

Avant de partir à Leicester et de devenir l'exceptionnel joueur qu'il est désormais, Riyad Mahrez a dû énormément se battre et garder confiance pour croire en ses rêves. Ses entraîneurs à Sarcelles, Quimper et Le Havre content leurs souvenirs pour FF.

Guy Ngongolo* : «Quand son père décède, Riyad dit : "Je vais y arriver pour lui"»
«J'ai eu Riyad à l'âge de 13 ans. Jusqu'en U15. Ensuite, je l'ai récupéré en seniors quand il avait 17-18 ans. A l'époque, puisqu'il était un peu frêle, les éducateurs ne lui faisaient pas trop confiance dans les équipes premières. Lui savait les qualités qu'il avait. Il disait : "Je dois jouer !" Il ne comprenait pas pourquoi il ne jouait pas en équipe une. Mais Riyad a toujours cru en lui. Je lui disais de ne pas lâcher, qu'il avait la technique et qu'elle ne partirait jamais. Il disait : "Je vais jouer en Ligue 1." Il le disait clairement, sans jouer en équipe une. Il était toujours avec un ballon. Après les entraînements, il allait jouer au quartier où il y avait un petit city-stade. Sinon il revenait au stade pour jouer encore. A 13 ans, il avait beaucoup d'insouciance, il ne pensait qu'au ballon, vraiment. Il pouvait dribbler n'importe qui, grand, costaud, il n'avait peur de rien. Il mettait des petits ponts à tout le monde. Mais personne ne le voyait. Ses copains partaient faire des essais dans des clubs pros, lui n'en a fait aucun.

Malheureusement, à Sarcelles, on met souvent en avant les joueurs des équipes premières. Des fois, il y a des joueurs cachés dans les équipes B. Sauf que les clubs pros viennent voir seulement les matches des équipes A. Riyad en souffrait. Certains de ses coéquipiers étaient retenus. Lui, non. Ça marque. Il avait un mental d'acier, il n'a pas lâché l'affaire. Il avait une confiance en lui incroyable. Puisqu'il ne pensait qu'au ballon, il se disait : "Ce n'est pas grave, si je ne joue pas en A, je vais aller en B." Il passait rapidement à autre chose, il relativisait vite. La mort de son père (NDLR : alors que Mahrez a 15 ans) a aussi été un déclic. Quand il décède, Riyad dit : "Je vais y arriver pour mon père." Sa mère est marocaine, son père est algérien. Il prend l'Algérie pour son père. Tout cela était une force pour lui. Il y en a qui aurait sombré. Lui a dit : "Je vais y arriver pour mon père et pour sortir ma mère de la galère." Son père venait le voir à tous les entraînements et aux matches.

«Sa mère est marocaine, son père est algérien. Il prend l'Algérie pour son père. Tout cela était une force pour lui. Il y en a qui aurait sombré. Lui a dit : "Je vais y arriver pour mon père et pour sortir ma mère de la galère."»

Un autre souvenir ? On est partis jouer un match de Coupe de France à Livry-Gargan je crois. On est menés 1-0. Il est sur le banc. Il me dit : "Guy, fais moi rentrer, tu vas voir, je vais faire la différence." Je lui dis de patienter. Il rentre. Il prend le ballon, il fait sa feinte spéciale, il enroule pied gauche : 1-1. Derrière, passement de jambes dans la surface de réparation. On gagne 2-1, il met le doublé. Là, je me suis dit qu'il était prêt. Même quand il était au Havre, en Ligue 2, il jouait le vendredi et revenait à Sarcelles le samedi pour y jouer. On me dit : "Guy, Riyad est là." Je réponds : "Comment ça ?" Je devais parfois venir et le sortir du gymnase en lui faisant comprendre qu'il était dans le monde professionnel, qu'il pouvait se blesser ou autres. On partait. Dix minutes après, il revenait tellement il aimait le ballon.»

*Son entraîneur à Sarcelles.

«Je devais parfois venir et le sortir du gymnase en lui faisant comprendre qu'il était dans le monde professionnel, qu'il pouvait se blesser ou autres. On partait. Dix minutes après, il revenait tellement il aimait le ballon.»

A l'époque, il nous disait qu'il jouerait à Barcelone et qu'il ferait la Coupe du monde. On était en CFA, ça paraissait un peu utopique. Ça chambrait pas mal. Des joueurs lui disaient : "Commence par jouer à Quimper, ce sera déjà bien." Mais il a réussi à accomplir ses rêves. Il était adorable. Mais quand il est arrivé, au tout début, il était un peu comme tout joueur qui n'est pas passé par un centre de formation : tactiquement, c'était un peu compliqué, il était aspiré par le ballon. Je me rappelle le mettre milieu gauche pour le voir arrière droit parce qu'il suivait le ballon. Il a fallu qu'il discipline un peu son jeu. Donc, au départ, il était souvent dans le groupe, mais pas titulaire. Au bout de trois, quatre ou cinq mois, il l'a été jusqu'en fin de saison. Il avait les qualités techniques, mais aussi physiques : car même si on disait qu'il était frêle, au niveau des courses, il était capable de faire quinze à vingt sprints par mi-temps, sans être fatigué. Athlétiquement, il était donc très bon.

Il fallait aussi qu'il apprenne à jouer à ce niveau parce qu'il jouait jusque-là en U19 PH à Sarcelles, c'était rare qu'il fasse des matches chez les seniors. Il a côtoyé des joueurs qui avaient un peu de bouteille en National ou en CFA, cela lui a permis de s'aguerrir rapidement. Ce qui était bien aussi, c'est qu'il était brut : il n'était pas formaté, il était à l'écoute. Et, au-delà de tout ça, c'était un passionné de football. On s'entraînait à 19 heures le soir, et il fallait presque éteindre les lumières du stade pour qu'il parte, car il serait resté jusque 23 heures à faire des reprises de volée et à s'amuser devant le but. Bon, de là à dire qu'on savait qu'il allait faire une carrière aussi exceptionnelle en démarrant, à 18 ans, le foot de bon niveau, c'était impossible. Riyad, c'était aussi toute cette bonne humeur qu'il mettait. On était partis une semaine à La Réunion pour disputer un huitième de finale de Coupe de France. Et c'était un boute-en-train. C'était un plaisir de l'avoir dans un groupe. En fin de saison, quand j'ai vu que le Stade Rennais et Le Havre s'intéressaient à lui, c'était le début de quelque chose. Mais quelque chose qu'on n'imaginait pas, bien sûr. C'est un conte de fées qui s'est réalisé. Mais ce n'est pas que la chance, c'est aussi parce que c'est quelqu'un qui a bossé. Il n'a jamais abandonné. Certaines de ses pensées étaient euphoriques, mais, aujourd'hui, on est obligés de réaliser qu'il avait raison.»

*Entraîneur de Riyad Mahrez à Quimper entre 2009 et 2010.

Ronan Salaün* : «Il nous disait qu'il jouerait à Barcelone et qu'il ferait la Coupe du monde»
«On le récupère à Quimper alors qu'il a 18 ans. Il vient de Sarcelles. Aucun club n'avait pris le risque ou le pari de miser sur lui. J'avais eu beaucoup de CV de joueurs. Une vingtaine avait répondu à une invitation. J'avais organisé un match un mercredi après-midi pour une opposition. Riyad est arrivé. A la fin du match, je n'ai retenu que lui. Mais le problème, c'est qu'il fallait qu'on lui fasse un contrat fédéral pour le faire signer. Sans ça, il aurait pu seulement jouer en équipe B. Il a fallu que je me batte avec mon président. Un contrat fédéral, ça coûtait presque 2000 euros, avec des charges. C'était très cher pour un club comme le nôtre. C'était donc un pari. Un contrat fédéral, c'était normalement un joueur qui venait avec un CV bien rempli, pour être titulaire indiscutable. Riyad, on savait qu'il y avait du travail. Quand je lui avais dit que cela allait être compliqué avec Quimper, car il fallait signer ce contrat fédéral et que le club n'était financièrement pas forcément très solide, il s'était mis à pleurer. Pour lui, c'était peut-être un rêve qui s'échappait. Il avait fait beaucoup de tentatives à droite, à gauche, qui n'avaient pas abouti. Là, tout s'écroulait pour lui. Cela m'avait touché parce qu'on sentait vraiment un gamin qui avait envie de réussir.

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«A l'époque, il nous disait qu'il jouerait à Barcelone et qu'il ferait la Coupe du monde. On était en CFA, ça paraissait un peu utopique. Ça chambrait pas mal. Des joueurs lui disaient : "Commence par jouer à Quimper, ce sera déjà bien."»

Quand il est arrivé au Havre, il était dans une dynamique de dire : "Je suis là, j'avance." Il prenait ce qui venait. Il n'était pas dans une finalité, mais dans un processus où il voulait être professionnel. Il s'en donnait les moyens. Et le problème de beaucoup de jeunes, c'est qu'ils veulent être professionnels, mais par la bouche et sans se donner les moyens. Lui, non. Il aimait le foot, il travaillait, il n'y avait pas de souci là-dessus. Le gros travail qu'il y a eu à faire avec Riyad a été sur deux points : son travail défensif et lui amener un état d'esprit d'efficacité, de tueur. C'est-à-dire ne pas dribbler pour dribbler mais chercher à être efficace, efficace, efficace. Aussi, quand le jeu se durcissait un peu, il s'effaçait. Qu'il gagne en rigueur par rapport à tout ça. Et Riyad, on pouvait lui rentrer dedans comme on dit. J'étais dur avec lui. Mais quel plaisir, quel régal de travailler avec un joueur comme ça : on lui rentre dedans, mais, quelque part, il sait que c'est pour son bien. Il ne m'en voulait pas et on continuait. J'ai des souvenirs où je lui dis qu'il doit être plus rigoureux, plus efficace... Je lui disais : "Soit tu feras du foot en salle, soit tu joueras au très haut niveau, mais à un moment donné, il faut faire ton choix." Il acceptait les remarques et cela n'a jamais joué sur notre relation, au contraire. Je ne voulais qu'une chose : sa réussite. Lui s'y retrouvait aussi. Il a fallu acquérir cela pour s'imposer en N2, et montrer qu'il était capable d'aller plus haut.»

*Son entraîneur à son arrivée au Havre, puis chez les pros quand il assure un intérim et qu'il passe ensuite adjoint d'Erick Mombaerts.

«Il n'a jamais abandonné. Certaines de ses pensées étaient euphoriques, mais, aujourd'hui, on est obligés de réaliser qu'il avait raison.»

Johann Louvel* : «Sa personnalité, elle marque»
«La première fois qu'on a vu Riyad, c'était en CFA, quand on jouait contre Quimper. J'étais adjoint de Jean-Marc Nabilo. Riyad entre en cours de match et nous tape dans l'oeil. Pour aller au haut niveau, il faut que le joueur ait des qualités très fortes. Je préfère avoir un joueur qui a des manques, mais avec ces qualités très fortes. C'est ce qui marquait chez Riyad. Il avait une qualité technique dans l'utilisation du ballon, une faculté de percussion balle au pied, mais aussi des grosses qualités athlétiques. En termes d'endurance, il était capable de courir extrêmement longtemps, donc de répéter les efforts, et il avait une explosivité, une qualité de pied qui lui permettait d'éliminer et de laisser son adversaire sur place. En fin de saison, je reprenais l'équipe CFA. Je fais venir sur la journée des joueurs qu'on a vu pendant l'année. Riyad est là, il passe la journée avec nous. Cela a confirmé ce qu'on avait vu. En plus, on sentait un garçon frais, avec l'envie de progresser, de travailler énormément. Cette fraîcheur mentale donnait envie. Quand c'est un joueur comme ça qui réussit, ça fait plaisir. C'est un bon garçon, extrêmement attachant, qui adore le football. Il n'a que ça en tête. A l'époque, quand il avait un week-end ou que je laissais trois jours de congés aux joueurs, lui allait en salle pour jouer. Sa personnalité, elle marque. Quand on travaille avec lui, il ne laisse pas indifférent. Il est beaucoup dans l'affect. Pour progresser, il a besoin de cette relation avec le coach pour avancer. En plus, il n'est pas tordu, il est sain.

«J'ai des souvenirs où je lui dis qu'il doit être plus rigoureux, plus efficace... Je lui disais : "Soit tu feras du foot en salle, soit tu joueras au très haut niveau, mais à un moment donné, il faut faire ton choix."»

Mahrez, en 2012, face au RC Lens de Ludovic Baal. (LABLATINIERE/L'Equipe)

Cédric Daury* : «Un grand passionné»
«Il s'entraînait régulièrement avec les pros. Il était encore très jeune, il n'avait pas eu de formation. Quand vous recrutez un jeune comme ça, bourré de talent et de qualités, mais qui est encore dans une phase de post-formation, vous êtes aussi dans le côté éducatif. Il avait besoin d'apprendre le métier. Mais, sincèrement, c'était un garçon très bien, avec beaucoup de fraîcheur. C'était un grand passionné. Il fallait simplement mettre toutes ses qualités un peu en ordre. C'est l'approche du professionnalisme qu'il fallait encore renforcer. Et mettre à profit toutes ses qualités individuelles au-dessus de la moyenne dans un collectif. La détermination, il l'avait déjà. Avec un discours et une ambition affirmés. J'avais aussi lancé Benjamin Mendy cette année-là et ils avaient tous les deux ce point commun d'avoir une ambition vraiment affirmée : celle d'aller là-haut.»
 
*Son entraîneur au Havre, qui l'a lancé chez les pros.

Timothé Crépin