domenech (raymond) (A.Mounic/L'Equipe)

Nantes : «Avec tout ce qu'il a vécu, il ne peut pas être le même entraîneur qu'avant» Qui es-tu vraiment, le Raymond Domenech de 2021 ?

Avant ses grands débuts avec le FC Nantes mercredi face à Rennes, FF a cherché à savoir à quoi ressemble le Raymond Domenech d'aujourd'hui. S'il a changé ou évolué depuis notamment l'échec de Knysna. Ceux qui l'ont côtoyé dans un passé récent racontent.

«Nouvelle donne», «nouvelles idées», «nouvel espoir», «nouveau ton», «nouvelles inspirations». Lors de l'arrivée d'un coach sur un banc, ce sont souvent ces mots qui reviennent, ceux qui correspondent à un nouveau souffle et à du positif très vite espéré pour l'équipe en question. A l'image de tout ce qui a suivi l'intronisation de Mauricio Pochettino au Paris Saint-Germain. Mais un peu plus à l'ouest, le 26 décembre dernier, la musique n'a pas vraiment été la même. Lorsque le FC Nantes a annoncé le choix de Raymond Domenech au poste d'entraîneur principal, on a plutôt eu à faire aux mots «Knysna», «désespérant», à une crispation autour du personnage et bien sûr, un passé peu glorieux. «J'ai l'impression que le métier de sélectionneur appartient à une autre vie me concernant, soufflait-il lors de sa présentation comme entraîneur du FCN. Moi je vis avec le présent et l'envie de réaliser quelque chose avec ce club. Mon image n'est pas mon problème. Ce qui s'est passé avant, c'est écrit et je ne peux rien y changer. Il faut vivre avec son temps, son époque.»

La carapace renforcée de Domenech

S'il ne laisse jamais insensible et qu'il est souvent moqué, surtout depuis la Coupe du monde 2010, qui est vraiment le Raymond Domenech de 2021 ? En plus de dix ans, on l'a vu entraîner des jeunes à Boulogne-Billancourt, être consultant pour différents médias, prendre la présidence de l'Unecatef, le syndicat des entraîneurs. «C'est quelqu'un qui n'est pas facile à cerner, place tout de suite Dave Appadoo, journaliste à France Football et consultant pour La Chaine L'Equipe, là où Domenech intervenait entre 2016 et décembre dernier. Il garde toujours une espèce de distance. Sans doute parce qu'il a essuyé beaucoup de coups. Après Knysna, son nom était synonyme de la plus grosse catastrophe de l'histoire de la sélection. Il a été cloué au pilori. Lui et sa famille en ont beaucoup souffert.» Une expérience douloureuse qui se ressent au quotidien : «Dans le milieu du foot, tous les mecs, certains plus que d'autres, ont une grosse carapace. Lui, particulièrement, a un vrai "blindage". Peut-être est-il comme ça naturellement, mais peut-être aussi que c'est renforcé par le fait qu'il a encaissé et qu'il n'est dupe de rien. Donc même s'il est très courtois et agréable, tu sens qu'il y a cette petite distance. Peut-être est-il pudique aussi d'ailleurs», poursuit Appadoo, tout en n'oubliant pas de préciser que le passé de la relation tumultueuse médias-Domenech peut aussi expliquer une certaine méfiance. «Ce n'est pas quelqu'un qui se confie», avance Vincent Duluc, journaliste à L'Equipe. «Oui, il est pudique, enchaîne Olivier Ménard. Il montre peu. Il n'est pas pour le grand déballage.»

Un «pro», c'est le premier mot choisi par le chef d'orchestre de l'émission L'Equipe du Soir pour définir son désormais ex-débatteur. «Il est là, il fait son truc, il sait qu'il est payé pour ça, il n'y a pas d'affect. C'est : "Paf, je le fais."» Mais, ensuite, rideau, et des propos qui font écho à la distance évoquée plus haut : «Après les émissions, la tradition, même si ce n'est plus possible en ce moment, est d'aller boire un verre. Lui, jamais. Il pose le micro et s'en va.»
 
Pas favorable pour une troisième mi-temps donc, mais la personnalité du Lyonnais de naissance a conquis ses "adversaires" de plateau. Dave Appadoo : «On peut dire ce qu'on veut mais, Raymond Domenech, c'est un vrai personnage du football français. Il est dans le milieu depuis je ne sais combien de temps. Et, humainement, je l'ai vu avoir la même considération pour, je mets des guillemets, le "petit" assistant que pour des gens qui sont là depuis très longtemps. Il ne va pas abréger sous prétexte que tu n'es pas quelqu'un d'important. Il a vraiment un dialogue facile, il considère les gens.» Constat pas forcément évident de base. Dave Appadoo explique : «C'est quelque chose que je ne savais pas parce qu'il a toujours eu cette réputation d'être un peu narquois, provocateur. Là, quand tu es assis avec lui, on discute et il ne va jamais te prendre de haut en te disant : "Ouais, là, tu n'y connais rien, tu n'as jamais joué au foot..." C'est appréciable.» 

«Il a toujours eu cette réputation d'être un peu narquois, provocateur. Là, quand tu es assis avec lui, on discute et il ne va jamais te prendre de haut en te disant : "Ouais, là, tu n'y connais rien, tu n'as jamais joué au foot..." C'est appréciable.»

Le trio Domenech-Ménard-Appadoo sur le plateau de La Chaine L'Equipe. (GRANGIER STEPHANE/L'Equipe)

L'attachant Anelka, cheval de bataille et corporation

En dehors des plateaux, Raymond Domenech n'hésite pas à débattre, analyser avec ses partenaires de jeu. Quitte même à évoquer certains mauvais souvenirs comme le raconte Dave Appadoo : «Il discute facilement de foot, on peut poser des questions : on parlait par exemple de Nicolas Anelka. Il m'a donné des réponses vachement surprenantes sur le fait qu'il trouve que c'est quelqu'un d'attachant, qu'il aime beaucoup.» Comme quoi le temps peut aussi apaiser certains mauvais souvenirs, mais ne peut calmer quelques combats propres à lui. Comme sur des entraîneurs français bien trop dénigrés par rapport à leurs homologues étrangers, la manière dont on juge un coach selon son langage corporel, les déclarations pleines de généralités qui l'agacent. «Il défendait la cause française, souligne Pierre Repellini, fidèle de longue date de Raymond Domenech et membre de l'Unecatef. Cela a toujours été un cheval de bataille. La défense des entraîneurs français et de la charte du football français.» «Il considère qu'en fonction de l'identité de celui qui fait telle ou telle chose, on va avoir un regard bienveillant ou on va le fracasser, estime Dave Appadoo. Il va parfois loin parce qu'il défend sa corporation. Et, médiatiquement, il a pu le porter un peu trop fort. Dans sa façon de voir le foot, il ne va pas dire : "C'est comme ça, et pas autrement". Il sait qu'il y a des tendances mais il refuse de faire des lignes trop générales.» D'ailleurs, question combat, récemment, il a fait de la reconnaissance du poste d'entraîneur-adjoint, de préparateur physique, d'entraîneur des gardiens une de ses priorités. «Il avait envie de faire évoluer certains sujets, précise Didier Ollé-Nicolle, actuel entraîneur du Mans et membre de l'Unecatef. Avec aussi l'envie de développer ce syndicat des entraîneurs pas assez puissant.» 

Le banc oui, mais également bien sûr le terrain. Depuis toutes ces années, Raymond Domenech est resté un consommateur XXL de ballon rond, surtout de foot français («Des matches, il s'en bouffe, il en regarde beaucoup, beaucoup, beaucoup» ; Dave Appadoo). Olivier Ménard fait un constat : «J'ai découvert quelqu'un qui connaît le football au millimètre, assure-t-il. Il a un regard, toujours des choses bien propres à lui, comme lorsqu'il va te montrer un détail précis dans un match.» «Il y a plein de trucs qu'il me dit sur les systèmes et autres, emboîte Appadoo. Tu comprends un peu mieux le jeu. C'est un coach quoi !» Quand pour Frédéric Antonetti, le technicien du FC Metz, «il est très compétent au niveau du football, on l'oublie souvent».

Six mois, comme la durée, pour le moment, de son contrat à la Beaujoire. «Il n'a jamais pensé qu'il allait être l'homme qui allait construire de nouveau quelque chose, prolonge Duluc. Mais il a souvent pensé qu'un challenge sur une courte période correspondait sans doute à la fois à son goût, à son âge et peut-être à son image dans le foot.» Lundi dernier, Raymond Domenech a d'ailleurs dévoilé certaines ambitions pour son nouveau club, tel un bâtisseur : «L'ADN de ce club est là, il est toujours là. Il faut le retrouver. On n'efface pas vingt ans d'identité d'un club comme ça. Il faut le faire refleurir un peu.» En septembre dernier, dans un documentaire diffusé sur La Chaine L'Equipe, le principal intéressé lâchait également : «L'odeur de la pelouse, ça, ça me manque. Être sur le terrain, construire quelque chose. L'odeur de l'herbe, c'est fabuleux.» Avant de lâcher récemment dans Téléfoot : «L'envie d'entraîner a été plus forte que tout. Annoncer officiellement que je ne pouvais plus entraîner, je n'ai jamais pu le faire. Parce qu'au fond de moi, j'ai toujours eu cette envie d'être sur un terrain.»

«il est très compétent au niveau du football, on l'oublie souvent.» Frédéric Antonetti, entraîneur du FC Metz.

Domenech, le joueur de poker

Mais un coach dont on pensait la carrière terminée, dont le nom ne sortait que rarement au moment où un club se mettait en recherche. En dix ans, il y a bien eu quelques sélections intéressées en Afrique, en Asie et même en Europe avec la Serbie dernièrement. «Ça m'a vraiment surpris, lâche Dave Appadoo au sujet de la prise de fonction de l'ancien défenseur. Pour l'avoir côtoyé, je n'ai pas senti chez lui quelqu'un qui était dans les starting-blocks pour reprendre un banc.» Avec davantage le sentiment de voir un Domenech basculer dans la vie d'après : «Par exemple, quand Philippe Hinschberger a fait un passage chez nous, je sentais qu'il n'avait qu'une envie, c'était de retrouver un poste. Alors que Raymond... Mais, encore une fois : c'est un mec qui joue au poker, il garde beaucoup de choses pour lui, il ne montre rien de son jeu, de sa pensée.» «Quand on est un entraîneur, on est un entraîneur à vie», sourit Pierre Repellini, qui n'a pas vraiment cru à la fin de la carrière de son compère. «J'ai toujours pensé que ça lui aurait manqué de ne pas replonger une fois, note Vincent Duluc. Parfois, il me disait : "Ah c'est dommage qu'untel ou untel ne m'a pas appelé, j'aurais bien dit oui pour six mois."» 

Et résultats ou pas résultats, pas sûr que tout cela change drastiquement d'ici le mois de juin. Appadoo : «L'opinion des gens n'évoluera pas sur lui : ceux qui ont décidé que c'était le pire entraîneur de l'histoire du football français, comme je l'ai lu ou entendu - des trucs un peu grotesques - ne vont pas changer d'avis.» Si Olivier Ménard pense que son ancien consultant est revanchard, qu'il peut du coup être animé par cela «mais il ne le dira pas», Dave Appadoo voit plutôt le côté personnel de la situation : «Il sait que rien ne s'effacera, mais, par contre, je pense que c'est quelqu'un qui se dit : "Compte tenu de tout ce que j'ai vécu, si j'ai cette opportunité-là, pourquoi pas !" C'est aussi pour lui qu'il le fait. C'est : "On me propose ça ? Putain, quel pied !" Raymond fait en plus partie de cette génération qui a dû voir le FC Nantes comme une référence. Et, même si je sais que Nantes n'est pas en Bretagne, il reste dans un coin qu'il connaît par rapport à sa résidence en Bretagne.» Lors de sa conférence de presse de présentation à la Jonelière, Raymond Domenech ne disait d'ailleurs pas mieux : «Je suis venu ici égoïstement pour me faire plaisir.» «Cela va le remettre au contact du terrain, c'est une bonne chose, apprécie Repellini. C'est un battant. Il a du caractère. Il ne renonce jamais.»

«L'envie d'entraîner a été plus forte que tout. Annoncer officiellement que je ne pouvais plus entraîner, je n'ai jamais pu le faire. Parce qu'au fond de moi, j'ai toujours eu cette envie d'être sur un terrain.»

Domenech à Nantes, pour quels résultats ? (V.Michel/L'Equipe)

Reste que sportivement, la tâche s'annonce ardue avec la volonté de redresser un FC Nantes en crise en interne avec la fronde autour de Waldemar Kita et sportivement (huit matches sans victoire, 16e du classement, à trois points du barragiste). Faire plonger le monument nantais en Ligue 2 serait terrible. Mais pour Dave Appadoo, «l'idée va être de mettre les têtes à l'endroit, de restaurer la confiance d'un groupe qui n'en a plus. Là-dessus, Raymond a certainement des arguments à faire valoir. Cela va être davantage du management. Il va y avoir du travail de technicien, mais en quelques mois, il ne va pas faire la révolution. Ça ne va pas devenir le Barça de Guardiola ou le Milan de Sacchi.» Au niveau du management, Domenech, toujours très attaché à la protection du groupe qu'il dirige, pourra aussi tirer son épingle : «C'est un paratonnerre exceptionnel, dessine Appadoo. Il va prendre toute la lumière et toute la foudre. Sa simple présence va un peu protéger l'équipe et le club. Même Kita, on va lui foutre un peu la paix. Quand il y aura un mauvais résultat, on ne va pas s'acharner sur Pallois ou Girotto, on va aller voir Domenech. Peut-être que ça peut permettre aux joueurs de trouver un petit peu de calme.» Mais le mot calme associé à Raymond Domenech est-il quelque chose de vraiment possible ?

«Il y a une sorte de procès en nullité qui est fait»

Dix ans après les Bleus, vingt-huit ans après Lyon, l'énorme défi sera de convaincre une majorité de sceptiques. Car certains en sont déjà convaincus : Domenech entraîneur, c'est voué à l'échec. «Domenech a une grande responsabilité dans ce qu'il s'est passé à Knysna mais il n'a pas l'entière responsabilité, clame Dave Appadoo. Du coup, il y a une sorte de procès en nullité qui est fait. On considère qu'il est complètement responsable de Knysna et qu'il n'est absolument pas comptable de la finale de 2006. Ce n'est pas possible qu'il ne connaisse pas le jeu !» Avec certaines petites phrases lâchées en plateau qui peuvent biaiser le jugement global. «Il ne faut pas se baser sur ce qu'il a pu dire, enchaîne Appadoo. Il a compris le jeu des médias : c'est de temps en temps d'envoyer des petites provocations. Il sait que pour faire le débat, et pas le buzz parce que ce n'est pas trop ce qu'il recherche, il y va franco sur certaines choses. Quitte à aller sur des positions un petit peu surprenantes. Il a l'art de la punchline, il est habile avec les mots. Donc je pense que les gens disent : "Waouh, regarde, ça, c'est exagéré, ça veut bien dire qu'il n'y connaît rien."»

«Ceux qui ont décidé que c'était le pire entraîneur de l'histoire du football français ne vont pas changer d'avis.»

Justement, Raymond Domenech avec la casquette de coach, beaucoup se demandent à quoi cela va ressembler. Quelles méthodes ? Quel discours ? Quelle capacité d'adaptation ? Quelle réussite ? Quels possibles freins ? «A travers l'Unecatef, argumente Dave Appadoo, il dialogue beaucoup avec les entraîneurs donc il n'est pas largué !» «Il a toujours été taxé d'être un entraîneur défensif, constate Olivier Ménard. Pour moi, il est toujours en recherche d'équilibre. Je ne pense pas qu'il soit plus défensif que les autres. C'est un cartésien. Et il était ainsi il y a vingt ans.» Avec une toute autre étiquette selon le journaliste-présentateur : «A Lyon, il représentait la nouvelle génération inventive. Aujourd'hui, il est taxé d'être conservateur, d'être un affreux coach défensif, celui qui symbolise le coach français trop prudent, trop frileux. C'est un caméléon, ce n'est pas un idéologue. Il n'arrive pas avec un système. Il regarde ses hommes, construit son équipe par rapport aux forces et aux faiblesses. Il ne se démarque pas des autres.»

Finies, les erreurs de com' ?

A se demander aussi si lui-même a changé dans son propre fonctionnement : «Avec tout ce qu'il a vécu, il ne peut pas être le même entraîneur qu'avant, pense Vincent Duluc. Il va garder des principes, c'est évident. Mais je ne l'imagine pas être têtu et dogmatique. Il a connu beaucoup de choses, mais je ne suis pas sûr que toutes ces choses soient un fardeau, c'est plus un bagage, globalement.» Pour Olivier Ménard, le changement va indéniablement devoir se faire sentir au niveau de la communication. Finie une phrase type comme «L'odeur du sang vous intéresse», lâchée aux journalistes en 2008. «Même s'il a toujours tendance à chambrer, à être provoquant, je pense qu'il sera plutôt coulant avec la presse, remarque Ménard. Je pense qu'il a compris ça et qu'il ne reproduira pas ses fautes de communication.» Domenech n'a d'ailleurs pas dit mieux lors de sa première face aux médias : «Peut-être que je comprends mieux désormais vos problématiques et que je vais essayer de ne pas commettre à nouveau certaines erreurs.»

Jouer :
-Quiz : Retrouvez les listes de Raymond Domenech pour l'équipe de France lors des Coupes du monde 2006 et 2010 et lors de l'Euro 2008

«Il va y avoir du travail de technicien, mais en quelques mois, il ne va pas faire la révolution. Ça ne va pas devenir le Barça de Guardiola ou le Milan de Sacchi.»

Timothé Crépin