Cazarre

Julien Cazarre : En attendant Bordeaux

Chaque semaine, dans France Football, retrouvez le tacle à retardement de Julien Cazarre. Cette semaine, direction la Gironde.

À première vue, la référence à l’ouvrage de Samuel Becke dans la situation du club girondin ne saute pas aux yeux. Pourtant, on n’en est pas si loin. Dans le premier acte de la pièce, deux vagabonds qui ne se connaissent pas attendent dans un coin paumé au milieu de nulle part un dénommé Godot dont on ne sait rien, si c’est le bon jour ou le bon endroit, ce qui a peu d’importance vu qu’il ne viendra jamais. Vous n’avez rien compris ? C’est normal, c’est du théâtre absurde, à ne pas confondre avec les pièces de boulevard dans lesquelles jouent Stéphane Plaza ou Frank Lebœuf... Là, c’est le spectateur qui est absurde. Eh bien, les Girondins de Bordeaux, c’est un savant mélange des deux. On a un club dont le propriétaire est King Street, une société de gestion de placement au capital de 18 milliards de dollars, dont le projet sportif est de faire du fric avec du fric sans dépenser de fric. Jusque-là, tout va bien. Est-ce qu’ils sont du Cap Ferret ou du bassin d’Arcachon ? Non. Sont-ils fans de foot ? Pas du tout. Veulent-ils investir dans le pinard ou l’immobilier du coin ? Encore moins. Que bordel font-ils alors dans cette galère ? Ben, dès qu’ils le savent, ils nous envoient un télex.

Longuépée, Parc des Princes et Comaneci

Le président du club, c’est Frédéric Longuépée, dont le rapport direct avec le sport consiste en une participation aux JO de Séoul dans la catégorie gymnastique et la direction de la billetterie du Parc des Princes. Quel rapport avec les Girondins ? Ben, il est supporter du PSG. Quoi, ça n’a rien à voir ? C’est du Becke on vous dit, vous n’écoutez rien. En même temps, dans l’absolu, c’est pas grave si le gars est compétent, sympa et désireux de s’ouvrir à la culture locale, non ? Bon, il se trouve qu’il ne comprend rien au ballon et qu’il est connu pour être froid et distant. Pour l’instant, zéro faute, on frôle le dix sur dix de Nadia Comaneci à Montréal.

Je sais ce que vous allez me dire, l’important, c’est le domaine sportif. Le boss du secteur est engagé au dernier moment en plein mois d’août, le même jour que le coach, c’est carrément super logique, ça prouve que le directeur sportif a vraiment eu le temps de faire un audit de tous les coaches disponibles et travailler un projet sur le long terme. En fait, Alain Roche, c’est pas une cellule de recrutement qu’il lui fallait, mais une DeLorean avec convecteur spatio-temporel. Focalisons-nous maintenant sur le carré vert et laissons de côté l’administratif, qui est blindé de fans du PSG pour qui Jean Tigana est un sympathique pays d’Afrique de l’Ouest dont la capitale est Accra, et Alain Giresse un coach furtif qui n’a pas su utiliser Jay-Jay Okocha. On en arrive au monsieur en survêtement qui met les plots et crie «allez les gars», j’ai nommé Jean-Louis Gasset. Qui de mieux pour manager une équipe dont le projet est de faire monter des jeunes afin de vivre du trading de ces derniers qu’un bon papi du foot en fin de carrière qui sort d’un bourbier stéphanois où il a tout misé sur des vieux briscards en quête de revanche ?

Focalisons-nous maintenant sur le carré vert et laissons de côté l'administratif, qui est blindé de fans du PSG pour qui Jean Tigana est un sympathique pays d'Afrique de l'Ouest dont la capitale est Accra, et Alain Giresse un coach furtif qui n'a pas su utiliser Jay-Jay Okocha.

Là où ça devient carrément génial, c’est que ledit papi, auréolé d’un titre de champion en 2009 en tant qu’adjoint, nous invente une tactique mieux que le 5-3-2 d’Helenio Herrera ou le WM d’Albert Batteux, le «passe la balle à Hatem». Comment on n’y avait pas pensé avant... mais c’est génial ! Tu prends le mec le plus inconstant de l’histoire du foot, qui a pissé littéralement sur tous les clubs dans lesquels il a traîné ses guêtres, et tu lui files les clés du camtar, la baraque au bord de la mer, la main de ta fille et le code nucléaire. Respect ! Si tu rajoutes à ça la moitié de l’équipe en fin de contrat qui ne pense qu’à une chose, c’est ne pas se faire une entorse ou un «rhume des foins» pour pouvoir se tirer au prochain mercato... Ben là, t’es dans du théâtre absurde et, franchement, en ces temps où les lieux culturels sont fermés, ça fait du bien quelque part.