deschamps (didier) desailly (marcel) lizarazu (bixente) pires (robert) (B.Papon/L'Equipe)

[Top 50 des matches de légende] 5e : France-Italie 2000, «les Italiens avaient trop parlé...»

Cette semaine, dans son nouveau numéro, France Football vous dévoile son Top 50 des matches de légende, ceux qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie. A la 5e place figure l'incroyable finale de l'Euro 2000 entre la France et l'Italie. Cinq acteurs de ce match racontent.

David Trezeguet : «Mon but a marqué l'histoire»

«Gagner l'Euro 2000 après la Coupe du monde 98, c'était unique. Nous étions les premiers à réaliser ce doublé. Comme d'habitude face aux Italiens, cela a été très compliqué. Mais je pense qu'on méritait la victoire. On était un groupe très uni et on a montré notre force. On était vraiment costauds mentalement. Tous les joueurs présents ont accompli quelque chose d'important. Quand (Roger) Lemerre a décidé de me faire entrer, cela se passait mal, on était menés (0-1), et il m'a demandé de trouver une solution. La première, ça a été la déviation pour le but de (Sylvain) Wiltord (90e+4). Et après, ça a été de marquer (103e). Avec l'égalisation, l'Italie a pris un très gros coup au moral et on était vraiment confiants, on était sûrs de gagner. On était forts dans nos têtes et on était aussi plus frais que les Italiens. C'est tout ça qui a fait la différence.

(Sur l'action du but en or) Je n'ai pas vraiment réfléchi, j'ai juste pensé à bien me placer. Robert Pirès fait l'action et puis je la reprends du pied gauche, comme elle vient. C'est un but exceptionnel, plein de beauté. Et c'est le plus important, celui qui donne la victoire à l'équipe. Mon but a marqué l'histoire de façon importante. Émotionnellement, c'était vraiment particulier, j'avais une grande joie pour mes coéquipiers. On a été ensemble plusieurs semaines pour travailler et gagner cette compétition. Après, j'ai pensé à ma famille, mes amis et à tout un pays qui était avec nous, qui était conscient de notre force. Mais ce que je ressens à ce moment-là, ce n'est pas évident à exprimer. Ça a été quelque chose de vraiment fort, de fantastique. Le temps passe et on me parle toujours de ce but. C'est une fierté énorme. C'était mon destin. Une semaine avant, j'avais signé à la Juve et après le but ça n'a pas été évident pour moi. Mais, avec le temps, j'ai pu gagner le respect là-bas et écrire une histoire importante à la Juventus.

Il faut toujours se tenir prêt et répondre présent quand on a fait appel à nous pour aider l'équipe. Il faut penser au groupe, se dire qu'on peut lui apporter quelque chose. C'est un conseil que j'ai donné ensuite à beaucoup de joueurs. Même avec peu de temps, on peut marquer l'histoire. 1998-2000, c'était vraiment une belle époque, exceptionnelle même, pour le football français.» T.S.

«C'était vraiment une belle époque, exceptionnelle même.»

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Avant de débuter la prolongation, Marcel Desailly est venu me voir et m'a envoyé un missile. Il me dit : "Maintenant, on va voir de quoi t'es capable !". Oh là là... Connaissant Marcel, je ne savais pas s'il était sérieux ou si c'était une blague. Et en fait je l'ai mal pris. En me disant ça, cela montrait qu'il n'avait pas trop confiance en moi. C'est ce que j'ai ressenti. Dans ma tête, je me suis dit : "Mais il est fou, lui, il se fout de ma gueule." Et, finalement, peut-être que sa phrase est restée inconsciemment dans ma tête et m'a permis de faire ce que j'ai fait ensuite. Parfois, je repense à cette action. Et c'est bizarre parce que, normalement, j'aurais dû donner le ballon à Zizou. Et finalement je ne le fais pas. C'est instinctif. Je décide de déborder côté gauche. En face, il y a (Fabio) Cannavaro, puis (Alessandro) Nesta arrive. Et j'ai de la réussite parce que mon centre passe entre ses jambes.

David (Trezeguet), je le vois, la façon dont il se place, la façon dont il regarde le ballon, la rotation de son corps, sa lucidité pour mettre sa volée du gauche où il la met... Je dis bravo. Les gens ont tendance à oublier à quel point David Trezeguet était un grand attaquant. Et ce but-là est à l'image de l'attaquant qu'il était : parfait. Après la finale, j'ai fait la fête avec les autres, bien sûr, mais très tôt le lendemain matin, j'ai pris un avion pour aller signer mon contrat avec Arsenal. Personnellement, c'était vraiment vingt-quatre heures exceptionnelles. C'était juste fabuleux. À ce moment-là, je basculais dans une autre dimension.» T.S.

Robert Pirès : «Normalement, j'aurais dû donner le ballon à Zizou»

«Cet Euro 2000 a été spécial, personnellement. On a joué l'Espagne en quarts, le Portugal en demies. D'un point de vue familial, c'était partagé. Avec une mère espagnole et un père portugais, j'avais les familles des deux côtés avec moi mais aussi contre moi. C'est assez spécial et, honnêtement, ce n'était pas évident. Mais quand j'enfile le maillot de l'équipe de France, j'oublie tout ça, les racines et tout ce côté familial. Quand je repense à la finale contre l'Italie (2-1, but en or), il y a tellement d'images fortes qui reviennent. Sylvain (Wiltord) et David (Trezeguet) étaient déjà entrés et, sur le côté, à l'échauffement, il ne restait plus que Nico (Anelka) et moi. Honnêtement, la fin du match approchait et je ne m'entraînais même plus. Je suis arrêté et je suis spectateur, tout simplement. Un spectateur qui assiste impuissant à la défaite des siens.

Quand René Girard (NDLR : adjoint du sélectionneur) vient me chercher, je suis surpris. Ensuite, Roger Lemerre me dit : "Bon, Robert, tu vas remplacer Liza et je veux te voir occuper tout le flanc gauche. Je veux te voir défendre et attaquer." J'écoute mais, encore une fois, je me dis que ça ne sert à rien. Pas dans le sens "c'est foutu" mais je ne vois pas ce que je peux apporter de plus. Mais il me lance dans la bataille (86e). Quand je rentre, je sens tout le monde un peu abattu, sauf Didier Deschamps qui, lui, y croit. Puis, il y a l'égalisation inespérée (90e+4) de Sylvain (Wiltord), il ne faut pas l'oublier.

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«Avant de débuter la prolongation, Marcel Desailly est venu me voir et m'a envoyé un missile. Il me dit : "Maintenant, on va voir de quoi t'es capable !"»

Quand Roger Lemerre me sort (NDLR : à la 86e minute), je me dis qu'il tente le tout pour le tout en faisant entrer un offensif supplémentaire (NDLR : Robert Pirès). Et son choix a fonctionné. Tout de suite, en arrivant sur le banc, je découvre une tension, énorme, terrible, avec les Italiens qui, visiblement, chambraient depuis qu'ils menaient 1-0 (NDLR : but de Marco Delvecchio, 55e). Sur le terrain, on ne sentait pas ça. Quand on a égalisé (NDLR : but de Sylvain Wiltord, 90e+4), c'était vraiment chaud. Il y a eu des regards. Des mots aussi ? Je ne me souviens pas (rires). Les Italiens avaient trop parlé et ils ont pris le retour de bâton. C'était de la folie. Et je ne parle même pas du but en or (103e)... Là, on est devenus complètement dingues. On a tous couru comme des malades vers David Trezeguet. C'était vraiment le feu !

Je me souviens aussi de l'après-match, quand on s'est assis sur la pelouse et qu'on s'est mis à discuter, à rigoler, à savourer, à se raconter des conneries. On a fait ce truc-là car on n'avait pas pu savourer tranquillement sur le terrain après le Brésil en 1998. C'était vraiment trop énorme et, sur la pelouse, c'était un gros bordel. C'était n'importe quoi. Là, on a pu se poser et faire notre débrief de branleurs, du genre : "Putain, c'est bon, on vient de faire le doublé ! On vient de taper les Italiens ! Apprécions, savourons ce moment les gars." Ce moment-là, pour moi, c'était vraiment un très joli moment.» T.S.

Bixente Lizarazu : «Les Italiens avaient trop parlé...»

«La finale contre l'Italie (2-1, but en or) fait partie des matches qui ne s'expliquent pas. Il y a la rencontre, jusque dans le temps additionnel, et puis il y a le reste, où il n'y pas d'explication rationnelle. Je ne peux toujours pas expliquer ce qu'il s'est passé à la fin... Contre le Brésil (3-0), en 1998, c'était le scénario parfait avec une maîtrise totale, on avait fait une finale de rêve. Contre l'Italie, on est dans le dur quasiment tout le temps mais on réalise un final de rêve. Les Italiens avaient remarquablement bien joué le coup. Ils avaient très bien étudié notre jeu et avaient su nous bloquer tactiquement. Ils nous l'avaient vraiment fait à l'italienne. Mais on les a battus à l'allemande. On était la meilleure équipe de cet Euro. Je n'aime pas employer ce mot-là mais on méritait de gagner.

«On s'est mis à discuter, à rigoler, à savourer, à se raconter des conneries.»

Très franchement, si on avait eu peur, si on avait tremblé, on n'aurait jamais gagné. Pour faire ce qu'on a fait, il fallait qu'on ait une vraie confiance en nous, une confiance collective, une confiance individuelle aussi, et puis cette force mentale qu'on avait acquise en 1998. L'avantage qu'on avait avec Roger Lemerre, c'est qu'il était très proche du groupe. Il savait comment on vivait, comment chaque joueur se positionnait, quand il fallait nous laisser respirer, et il était sans doute le mieux placé pour faire en sorte que le groupe vive bien.

Pour évoquer la finale, quand David Trezeguet met son but en or, c'est la folie, c'est incroyable. Ce but, cette volée du gauche qui troue le filet du gardien italien, il vient de nulle part. Réaliser le doublé Coupe du monde-Euro, on ne pouvait pas aller plus haut, on était au summum de ce que pouvait faire un joueur international. Je pense qu'on était intouchables. C'est le sentiment qu'on avait. Une anecdote ? Après la finale, on a fêté la victoire à l'hôtel avec nos familles. On est partis prendre l'air et il y avait tellement de brouillard que je me suis perdu. J'ai cherché mon chemin pendant une demi-heure avant de retrouver l'hôtel. J'ai eu du mal à rentrer... Voilà ce que donne la joie du champion arrosée au champagne !» T.S.

Wiltord-Pirès-Trezeguet, un trio qui va faire vaciller la Nazionale. (B.Papon/L'Equipe)

Maintenant, à tête froide, je me dis qu'on aurait pu faire quelque chose en prolongation. Mais sur le coup, c'est comme si on nous avait coupé les jambes. On avait perdu toute notre énergie. Après le but, on reste un peu circonspects. On ne se parle pas beaucoup. On essaie de s'encourager, de se dire qu'on va réagir. Mais la vérité, c'est qu'on savait qu'on avait déjà perdu le match avec l'égalisation.

En revoyant les images, je me suis dit qu'on avait très mal joué le coup. Nous aurions dû donner la balle à Francesco Totti pour qu'il la garde loin de nos buts. Il ne manquait que quelques secondes, il suffisait d'aller s'enfermer dans la défense française... Mais enfin, c'est plus facile à dire maintenant (rires). J'aurais préféré que ce match se joue à huis-clos. Pendant la rencontre, nous avons été poussés, mais à la fin, voir tous ces visages tristes essayant de se consoler, c'était dur. Sincèrement, je ne me souviens plus de grand-chose dans le vestiaire à la fin de la rencontre. Je revois juste des mecs déçus et des larmes. Nous étions comme des enfants. C'est pour ça que le football est grand. Après un tel scénario, tu as beau être un grand homme ou un grand personnage, tu te laisses aller et tu te mets à pleurer. L'amertume est encore très forte. J'ai perdu la finale de 1994 contre le Brésil, j'ai perdu la finale de l'Euro 2000... J'aurais aimé gagner quelque chose avec l'Italie, car on sait tous la symbolique quand tu remportes quelque chose avec ce pays... C'est le foot.» J.T.

Youri Djorkaeff : «On n'a jamais eu peur, on était les meilleurs»

«Je me souviens qu'avant d'entrer dans la compétition et d'affronter le Danemark, on était vraiment pressés d'en découdre. On se sentait tellement forts, tellement confiants. Le fait d'avoir été champions du monde deux ans avant nous avait donné des armes, notamment mentales, pour aborder un tel évènement.

De mon point de vue, si on met la finale contre l'Italie de côté, le match du tournoi qui m'a le plus marqué est sans aucun doute celui contre l'Espagne (2-1), en quarts de finale. C'était une rencontre mémorable qui restera dans les annales du football français. Il y a le coup franc de Zidane, l'égalisation espagnole sur penalty puis mon but avant la mi-temps. Et enfin le penalty raté par Raùl en toute fin de match. C'était épique mais on n'a jamais tremblé. Vraiment. D'ailleurs, pendant tout ce Championnat d'Europe, nous n'avons jamais eu peur parce qu'on était les meilleurs. Sincèrement. Même quand l'Italie menait en finale et qu'il ne restait que quelques secondes.

«On était intouchables, c'est le sentiment qu'on avait.»

Demetrio Albertini : «Quand Wiltord égalise, c'est déjà le but de la défaite»

«C'est la plus grosse désillusion de toute ma carrière... Plus que toute autre défaite. Nous avions fait un très bon match. Nous méritions de remporter ce trophée, mais un match ne se termine qu'au coup de sifflet final. Paradoxalement, nous avons mieux joué en finale que lors de la demie face aux Pays-Bas (NDLR : 0-0, 3 t.a.b. à 1 pour l'Italie). La chance que nous avons eue en demie, nous l'avons perdue contre la France.

Je me souviens d'une équipe d'Italie très forte, qui avait fait un grand tournoi. Lors de cette finale, nous avons développé un meilleur football que la France. Je vais vous dire un truc pour en revenir à la finale. Quand les Français ont égalisé, même si ça faisait 1-1, dans nos têtes, c'était le but de la défaite. Celui de Trezeguet, on savait qu'il allait arriver. Nous l'attendions tous. Oui, avec le but de Wiltord, on savait que c'était perdu.

«Nous étions comme des enfants.»

(Ces interviews ont été réalisées en 2015)