battiston (patrick) schumacher (harald) kaltz (manfred) (L'Equipe)

Mon match de légende : «France-RFA 82 au milieu des supporters allemands»

Dans le cadre du Top 50 des matches de légende à retrouver dans le nouveau numéro de France Football, nous vous avons invités à nous raconter VOTRE soirée inoubliable. Nouvel épisode avec le France-RFA 1982 suivi dans un bar hexagonal rempli de supporters allemands.

1982. J'ai dix ans et je suis en vacances avec mes parents. Il faut tenter de se souvenir ou d'imaginer les années 70-80 où l'on partait en vacances en totale déconnexion du quotidien, sans portable, ni Internet, ni téléphone, ni télévision. Avec les journaux et les radios qui ne sont pas les mêmes à 1000 kilomètres de chez soi. Mon père, passionné de foot et désireux de suivre l'épopée de la bande de Michel Hidalgo, avait trouvé un bistrot du nom de "La Crevette" qui retransmettait les matches en couleur.
 
Arrive le soir de cette première demi-finale d'un Mondial depuis 1958, de surcroît contre l'Allemagne, Cela ne rigole pas. Mon père s'échauffe en écoutant RMC et en lisant L'Equipe. J'obtiens l'autorisation de l'accompagner et, déposés par ma mère, nous arrivons bien en avance pour, sans le savoir, assister à l'une des plus grandes soirées du foot français. Sur la route en nous conduisant, mon père a bien juré dix fois à ma mère que cela «n'allait pas durer trop longtemps».

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Crevette, bière et ambiance bon enfant

"La Crevette" se remplit rapidement. Je vais m'asseoir, rapidement encerclé par de nombreux étudiants allemands habillés avec des maillots de leur équipe nationale. L'un d'entre eux porte néanmoins un maillot de l'équipe de France, ce qui déclenche les quolibets de ses camarades qui l'interpellent régulièrement. Ils ont tous de très grands verres de bière à la main et l'ambiance est bon enfant. Lors des hymnes, si La Marseillaise est à peine sifflotée par quelques locaux, le contraste est total lors de l'hymne allemand. Tous les maillots blancs se lèvent d'un seul bond et, la main sur le cœur, l'entonnent à pleins poumons. Le match commence avec le son saturé car poussé au maximum du poste de télévision.

Le raté de Bossis. (L'Equipe)

But rapide pour l'Allemagne. Je reçois instantanément l'intégralité de la (grande) bière du supporter allemand devant moi. Le temps d'aller me nettoyer aux toilettes, je rate l'égalisation française. La deuxième période repart sur les «Deutschland» scandés autour de moi dans une ambiance néanmoins pacifique et rigolarde.
 
Et là, Schumacher percute Battiston. "La Crevette" se transforme en Assemblée nationale un jour de retransmission télé. Ça hurle «Penalty», «Carton rouge», «Dehors» et plus encore. Brancard. Platini qui tient la main de son pote... Le jeu qui repart en six mètres. Rien n'est sifflé ! Autour de moi, la coexistence pacifique se transforme en guerre froide, l'ambiance change radicalement et mon père pense même à m'exfiltrer.

"La Crevette" se transforme en Assemblée nationale un jour de retransmission télé. Ça hurle «Penalty», «Carton rouge», «Dehors» et plus encore.

Impatience maternelle

Fin du temps réglementaire. La tension baisse un peu dans la salle mais pas pour mon père qui est parti expliquer à ma mère, qui nous attend dehors, qu'il y en a encore pour trente minutes au moins... Première prolongation. Idolâtré par mon père, ancien défenseur central amateur, Marius Trésor claque un but. De quoi faire imploser la salle. La France va gagner, elle ne peut plus perdre après un but comme ça ! La Marseillaise est entonnée et même les Allemands reconnaissant, paient des bières. Rummenigge entre : double frisson dans la salle entre espoir et peur selon les cas. Mais c'est Giresse qui inscrit un autre but ! 3-1, c'est la folie. Ca s'embrasse. Mais ma mère, furibonde, nous attend toujours dans la voiture.

Derrière, ça va très vite. But de Rummenigge en contre-attaque. L'espoir change de camp. Avant le 3-3. Les dernières minutes de la prolongation sont pénibles pour tout le monde. La peur est palpable et la tension globale. Autour de moi, les fans des Bleus sont déjà certains d'avoir perdu. Un tir au but manqué de chaque côté. 3-3, 4-4, et Bossis (autre idole paternelle) rate. C'est fini... Les Allemands explosent, chantent, la soirée se termine tous ensemble... sauf pour mon père et moi, extirpés par une maman hystérique d'attendre pour du foot.
 
Les jours qui suivent sont pesants et nous ne regartons même pas le match pour la troisième place. Mais quelle soirée épique, qui allait augurer tant d'autres choses pour les Bleus... jusqu'à France-RFA 1986. Quand ça ne veut pas...

Yann Lemort